Notre agent à la Havane

Dans le Cuba pré-révolutionnaire, un modeste marchand d’aspirateurs, Jim Wormold, est recruté presque malgré lui par les services secrets britanniques. Homme paisible et effacé, nanti d’une fille aussi catholique que dépensière, sur laquelle il a reporté toute son affection depuis que sa femme l’a quitté, Wormold voit là surtout l’occasion d’arrondir ses fins de mois. Et comme il n’a aucune prédisposition pour l’espionnage, il s’invente un réseau d’informateurs imaginaires et transmet à Londres des renseignements de pure fantaisie - y compris les diagrammes d’un aspirateur qu’il fait passer pour les plans d’une installation militaire (moment sublime). Cependant, Wormold est bientôt dépassé par sa supercherie, qui l’oblige à une perpétuelle fuite en avant. Ses affabulations trouvent de surprenantes correspondances dans la réalité, et les conséquences en seront dramatiques.

En 250 pages alertes, Graham Greene imbrique magistralement une parodie irrésistible de récit d’espionnage et des moments de vrai suspense à un questionnement plus large sur le monde et la condition humaine. Le roman baigne dans une irréalité tour à tour euphorisante et inquiétante, qui restitue remarquablement le climat des années 1950, sur fond de guerre froide et de terreur atomique. Écrivain catholique ayant travaillé dans le renseignement durant la guerre, Greene est donc le mieux placé pour se moquer du catholicisme autant que des services secrets, qui fonctionnent comme n’importe quelle entreprise : l’obsession du cloisonnement se retourne contre elle-même, les grands chefs de Londres, totalement coupés des réalités, sont d’une extraordinaire incompétence et principalement occupés à se tirer dans les pattes ; et, comme dans toutes les compagnies, la meilleure façon de se débarrasser d’un incapable est de lui offrir une promotion. Utterly enjoyable.

P.-S. L’analogie entre espion et romancier, suggérée dans Ma vie dans la CIA d’Harry Mathews, figure déjà ici et donne lieu à de jolies pages.
John Le Carré, qui n’a jamais caché son admiration pour Greene, s’est manifestement inspiré de ce roman pour écrire le Tailleur de Panama.


Lundi 27 mars 2006 | Au fil des pages |

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