Un premier roman français qui sort des sentiers battus, c’est pas tous les jours et ça se fête. L’oiseau rare s’intitule Bleu de chauffe, son auteur se nomme Nan Aurousseau. C’est, narrée par un ex-taulard devenu plombier, employé d’un patron véreux, une chronique des magouilles ordinaires du BTP : travaux bâclés pour respecter les délais, main-d’oeuvre au noir surexploitée et sous-payée, multiplication des sous-traitants pour compresser les coûts, diluer les responsabilités en cas de tuile et s’en mettre plein les poches au passage, arnaques diverses à l’assurance et l’on en passe. L’ouvrage, ai-je lu, est en partie autobiographique. Assurément, Nan Aurousseau sait de quoi il parle ; mais, plus important, il sait comment en parler.
En témoigne un travail serré sur la langue, faussement orale mais en réalité très écrite : la phrase claque, c’est admirablement scandé. En fait foi aussi la manière dont la narration est soutenue par une abondance de détails techniques sur la pose des conduites sanitaires, la soudure sur cuivre, les raccords trois pièces et les joints de dilatation, que l’habileté d’écriture de l’auteur réussit à rendre passionnants. Cet aspect documentaire n’est pas là pour faire pittoresque. C’est par l’accumulation de détails concrets et de faits saignants (le chantier ubuesque de la BNF) que le livre finit par en dire long sur la réalité quotidienne du capitalisme sauvage - dont les combines du bâtiment ne sont qu’un des nombreux visages -, et plus largement sur la servitude volontaire et la dégradation générale des conditions de l’existence. Vous croyez que Dan (le narrateur) explique les mérites relatifs des perceuses chinoises et des mèches en tungstène allemandes, mais en réalité il décrit l’âge de la falsification dont parlait Paul Lafargue et qui, au-delà du monde de la marchandise, pourrit les relations humaines et atteint jusqu’au coeur même du langage.
C’est en cela que, si l’aspect polar de l’intrigue reste très embryonnaire, Bleu de chauffe se rapproche malgré tout du roman noir. On regrettera d’autant plus la fin décevante, en porte-à-faux, du livre. À ce bémol près, c’est épatant.
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