Chez Victor Hugo


Hauteville House : le salon rouge

Les photos d’époque étant sombres (en plus d’être en noir et blanc), rien ne prépare le visiteur non averti à la surprise qui l’attend à Hauteville House. Cette demeure extravagante, invraisemblable, révèle un Victor Hugo inattendu, grand coureur de brocantes et accumulateur de bric-à-brac, ayant sur la décoration intérieure des vues très personnelles.

Propriétaire pour la première fois de sa vie, Hugo mit à l’aménagement de sa maison la même fièvre obsessionnelle, à une échelle beaucoup plus modeste, qu’Horace Walpole à Strawberry Hill. Il en fit, comme Walpole, la projection de son monde intérieur. Avec un siècle d’avance, il invente le recyclage : les coffres chinois dont il a la passion sont démembrés et reconvertis en buffets gigantesques, les portes d’armoires sont transformées en tables. À chaque pièce son grand thème. Salle à manger couverte de carreaux de Delft. Corridor de faïence tapissé de plats et d’assiettes (pas seulement sur les murs, mind you, au plafond aussi). Salon des tapisseries (recouvrant là aussi la moindre surface des murs et du plafond). Salon rouge (vraiment rouge), salon bleu, galerie de chêne aux piliers torsadés, telle une forêt gothique. Porte dérobée ouvrant sur un cabinet aveugle qui servait de chambre noire à son fils féru de photographie. Maximes, citations latines et cryptogrammes gravés dans tous les coins. Partout la surcharge, la prolifération et le délire décoratif concourent à faire de la maison une « folie » stupéfiante. Ses proches se plaignent qu’elle soit proprement inhabitable. Il n’en a cure.

« C’est dommage que je sois poète, quel architecte j’aurais fait ! », disait-il à Viollet-le-Duc. De fait, on ne peut s’empêcher, visitant Hauteville House, d’y voir une œuvre à part entière, obéissant aux mêmes principes esthétiques que ses écrits — un vaste poème en trois dimensions, une métaphore construite en dur. Hugo architecte d’intérieur est, à l’image d’Hugo poète, l’homme de l’hyperbole et des grandes antithèses. Dans une émission d’Apostrophes, Hubert Juin disait de lui : «C’est l’homme qui ne pense qu’à la lumière, l’homme qui veut monter sur les cimes, là où l’on peut étreindre le soleil. » L’ordonnancement de Hauteville House matérialise ce parcours de l’ombre à la lumière : depuis les salles sombres du rez-de-chaussée, des percées de lumière vous appellent vers les hauteurs jusqu’à la véranda incendiée de soleil juchée au dernier étage. Dans ce perchoir vitré qu’il appelait son lookout — une fournaise en été, une glacière en hiver —, Hugo écrivait debout de six heures à midi, face à l’immensité bleue de la mer et du ciel.


Vendredi 22 juillet 2011 | Pérégrinations |

3 commentaires
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L’appartement où il vécut place des Vosges est très intéressant à voir également, tout à fait dans le même genre “collection” et aux couleurs magnifiquement exotiques, si je puis dire ; la bibliothèque est magnifique (et la visite est gratuite).

Commentaire par wictoria w 09.02.11 @ 12:19

J’ai visité la maison de la place des Vosges il y a plusieurs années. Bizarrement, je n’en conserve aucun souvenir, pas même de la bibliothèque. Faudra que j’y retourne.

Commentaire par th 09.02.11 @ 7:54

Je ne peux qu’appuyer le commentaire de Wictoria : vous trouverez place des Vosges d’autres meubles modifiés, une splendide bibliothèque mais aussi un impressionnant mur de photographies d’Ego-Hugo qui avait bien compris que cette innovation technique le fixerait, outre l’écriture, dans la modernité.

Commentaire par De Litteris 09.03.11 @ 8:17



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