rororo

Toujours dans le Penguin Collector de juin 2011, un intéressant article de Thomas Schröer sur l’équivalent allemand de Penguin et de Marabout : la collection de poche rororo, qui existe encore aujourd’hui. Lancée au lendemain de la Deuxième Guerre par Heinrich Maria Ledig-Rowohlt — fils de l’éditeur réputé Ernest Rowohlt, fondateur en 1908 de la maison Rowohlt Verlag —, elle a une histoire curieuse.

Dans l’Allemagne de l’après-guerre que se partagent quatre forces d’occupation, les Américains et les Anglais sont soucieux de relancer la vie culturelle, dans laquelle ils voient un facteur de démocratie. (Billy Wilder avait des anecdotes très drôles à ce sujet, mais je ne retrouve plus l’entretien où il les raconte.) Très vite, des licences sont octroyées à des éditeurs de livres ou de journaux non compromis avec le régime nazi. Ledig-Rowohlt obtient la sienne en 1945. Le papier est alors une denrée rare et strictement contingentée. 60 % des quotas sont réservés à l’impression de journaux et 40 % à l’édition de livres. Pour contourner ces limitations, Ledig-Rowohlt a l’idée astucieuse de faire imprimer ses livres sur presses rotatives. Ce seront dans un premier temps de petites brochures de trente-six pages au format poche reproduisant chacune une nouvelle d’un auteur étranger (le plus souvent américain ou anglais).

En 1947, fidèle à sa devise (« le plus de texte sur le moins de papier possible, au coût le plus bas »), Ledig-Rowohlt lance la collection RoRoRo (Rowohlt Rotations-Romane), au format journal. Un roman complet composé sur trois colonnes tient dans une quarantaine de pages. Vingt-cinq de ces romans-journaux paraissent au cours des trois années suivantes. Ils sont vendus au prix symbolique d’une cigarette — en un temps où les cigarettes servent encore couramment de monnaie d’échange.

En 1950, RoRoRo devient rororo. Toujours imprimés sur rotatives, les livres reviennent au format poche sous une reliure bon marché constituée d’une pièce de toile encollée au dos des volumes. Leur succès est immédiat ; les tirages s’envolent. Pour minimiser encore les coûts de production, les livres contiennent fréquemment des pages de publicité que l’éditeur s’ingénie à lier à leur contenu. Par exemple, dans Das Schicksal der Irene Forsyte (The Man of Property de John Galsworthy, premier volume de la Dynastie des Forsyte), sur la page en vis-à-vis d’un passage où le vieux Jolyon Forstyte s’allume une clope, s’étale une publicité pour les cigarettes Fox. Le catalogue de la collection est constitué aux deux tiers d’auteurs étrangers, essentiellement américains, anglais et français, le lectorat allemand se montrant avide de littérature étrangère dont il a été longtemps sevré.

À l’instar des Penguin et des Marabout de la grande époque, les rororo des années 1950-1960 ont leurs collectionneurs acharnés. Un élément propre à déclencher ce réflexe de la collectionnite, ce sont les couvertures illustrées qui assurent à la série son unité visuelle. Celle-ci est d’autant plus marquée que ce sont deux illustrateurs qui ont réalisé à eux seuls les trois cent cinquante premières couvertures de la collection. Ils se nommaient Karl Gröning Jr et Gisela Pferdmenges, et tous deux venaient curieusement du monde du théâtre (le premier était décorateur et la seconde costumière). Leur style graphique est parent de celui des premiers Livre de Poche qu’Henri Filipacchi lançait à la même époque en France avec le concours de Guy Schoeller (dans les deux cas, l’illustration plein bord court sur la première et la quatrième de couverture).


Jeudi 12 janvier 2012 | Le monde du livre |

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Un bien joli blog, cher collègue.

Commentaire par Voyelle et Consonne 01.23.12 @ 7:48



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