Le charme de l’Autre Journal où s’épanouissait, dominatrice, Marguerite Duras, c’est qu’à la différence de nombreux confrères on le sentait respirer. Les défauts y étaient si évidents qu’ils vous donnaient l’envie de mettre la main à la pâte. Ils sont rares les journaux où l’on souhaiterait intervenir, prendre la parole. En général, ils sont ou tellement bêtes ou tellement bien faits que l’on voit tout de suite que l’on est de trop. […]
Le temps de trouver un arrangement, l’Autre Journal cessa de paraître. Il n’avait rien d’une chaîne de télévision, ce n’était pas Radio Monte-Carlo, même pas un quotidien. À peine un hebdomadaire. Il ne se trouva donc aucun financier sérieux pour s’intéresser à lui puisqu’il ne risquait pas d’être un gouffre. Le monde du capital a son orgueil : il ne va pas s’asseoir à une table de chemin de fer où la mise initiale est de cinquante francs. Ces choses-là risquent de s’apprendre, et c’est ainsi que, tout riche que l’on est, l’on perd sa réputation.Bernard Frank
Le Journal littéraire no 1, septembre-novembre 1987.J’ai vendu la mèche quand j’avais vingt ans : « Je retrouvais cette idée qui m’avait si fort effrayé que l’histoire de la littérature, même la plus rudimentaire, parlait souvent plus à une imagination bien dressée que les chefs-d’œuvre dont elle avait le souci. » Autrement dit, les chefs-d’œuvre me faisaient moins d’effet que leur bande-annonce, leur notice. Et partout pareil. Dans les restaurants, on est plus fasciné par les cartes, la richesse des menus que par ce qui est dans l’assiette. Et ces restaurants, nous n’y allons le plus souvent que par le commentaire que nous avons lu dans les guides. Ce sont les mots du chroniqueur qui nous ont fait de l’effet. Nous nous délectons du verbal, nous mangeons de la rêverie. Les médicaments, longtemps, nous ont fait de l’effet par leur notice, leur mode d’emploi. La France, on le sait, va mourir sous le poids de ses médicaments, de sa Sécurité sociale. Et pourquoi les Français sont-ils si dépensiers en drogue ? C’est qu’ils croient aux mots.
Égoïste no 13, tome 1, 1996.
Chroniques reprises dans Rêveries, Le Dilettante, 2000.
Pas de commentaire
Laisser un commentaire