En voiture

On retombe, dans l’excellente petite anthologie de Michel Nuridsany Précieux et Libertins 1, sur deux rondeaux délicieux et discrètement virtuoses de Vincent Voiture (1597-1648). Le rondeau, tel quel codifié par Clément Marot, compte treize vers construits sur deux rimes, l’incipit du poème revenant à deux reprises comme un refrain (dit aussi « rentrement »). Finesse supplémentaire chez Voiture : le sens du syntagme initial se trouve subtilement modifié lorsqu’il revient sous forme de refrain. Le premier des deux rondeaux est en outre un exemple remarquablement précoce de texte autoréférentiel, qui liquide par avance bien des pesants exercices textuels qui seront en vogue trois siècles plus tard (le poème qui parle du poème, le texte qui s’écrit sous vos yeux en vous disant qu’il est en train de le faire).

Ma foi, c’est fait de moi : car Isabeau
M’a conjuré de lui faire un rondeau.
Cela me met en une peine extrême.
Quoi ! Treize vers, huit en eau, cinq en ème !
Je lui ferais aussitôt un bateau.

En voilà cinq pourtant en un monceau.
Faisons en huit, en invoquant Brodeau,
Et puis mettons par quelque stratagème :
Ma foi, c’est fait.

Si je pouvais encor de mon cerveau
Tirer cinq vers, l’ouvrage serait beau.
Mais cependant, je suis dedans l’onzième,
Et si je crois que je fais le douzième,
En voilà treize ajustés au niveau :
Ma foi, c’est fait !

 

Ou vous savez tromper bien finement,
Ou vous m’aimez assez fidèlement :
Lequel des deux, je ne saurais le dire ;
Mais cependant je pleure et je soupire,
Et ne reçois aucun soulagement.

Pour votre amour j’ai quitté franchement
Ce que j’avais acquis bien sûrement :
Car on m’aimait, et j’avais quelque empire
Où vous savez.

Je n’attends pas tout le consentement
Qu’on peut donner aux peines d’un amant,
Et qui pourrait me tirer du martyre :
À si grand bien mon courage n’aspire :
Mais laissez-moi vous toucher seulement
Où vous savez.

Né à Amiens, fils d’un marchand de vin, Voiture enchanta son temps par son brillant esprit, son art de la conversation, son talent à improviser « des poèmes sur tous les événements de la vie mondaine, même les plus minimes. […] Sa poésie légère, badine, raffinée, impertinente, manifeste soif de liberté, goût du jeu et distance ironique vis-à-vis d’elle-même qui caractérisent la société qu’il fréquente. À son époque sa renommée est immense et même le grand La Fontaine proclame hautement ce qu’il lui doit. » (Michel Nuridsany.)

1 La Différence, « Orphée », 1990.


Portrait de Voiture par Philippe de Champaigne. Musée des Beaux-Arts de Clermont-Ferrand.


Samedi 13 juillet 2013 | Grappilles |

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