Deux films labyrinthes

Providence d’Alain Resnais connaît enfin les honneurs d’une édition DVD, longtemps retardée pour des problèmes de droits compliqués. Film cerveau où Resnais s’emploie une fois encore à explorer les processus mentaux de la mémoire et de l’imaginaire ; film labyrinthe épousant le monologue intérieur d’un vieil écrivain éthylique et malade tentant, à grand renfort de chablis, de terminer son dernier livre au long d’une nuit d’insomnie. Tout se mêle et se superpose inextricablement, le roman en cours dont les personnages rejouent une sorte de mélodrame freudien en échappant comme il se doit à leur créateur, les souvenirs et les fantasmes, les cauchemars et les divagations, la hantise de la décrépitude et de la mort. Et tout fusionne à un point d’accomplissement qui fait du film un des sommets de l’œuvre de Resnais, le dialogue pinterien de David Mercer servi par des interprètes de première classe (John Gielgud, Dirk Bogarde, Ellen Burstyn, David Warner, Elaine Stritch), la photo somptueuse de Ricardo Aronovich et la partition crépusculaire de Miklós Rózsa, le décor à transformation de Jacques Saulnier où les pièces, les couloirs et les escaliers d’une villa délirante changent continuellement de disposition tandis que des vagues de polystyrène viennent se briser sur la plage aux moments les plus dramatiques. Resnais a déclaré quelque part avoir caressé, à l’instar de beaucoup de cinéastes, le fantasme de mettre en scène un opéra. Ce rêve, en fait, il l’a réalisé ; cet opéra, c’est Providence.

Un bonheur n’arrive jamais seul. Car voici qu’un intrépide éditeur allemand nous procure une autre œuvre labyrinthe, d’une nature toute différente : rien de moins qu’Out 1, le film fleuve de Jacques Rivette (1970). Le coffret publié par Absolut Medien réunit la version princeps de 12 h 40 (découpée en huit épisodes en vue d’une diffusion à la télé française, qui n’en voulut pas) et la version condensée de 4 h 20 pour le cinéma, Out 1 : Spectre. Trente ans que j’attendais de découvrir ce monument quasi légendaire, longtemps disparu dans les oubliettes avant de ressurgir par éclipses dans divers festivals à partir des années 1990. Je n’ai pas été déçu. S’immerger dans cette œuvre au long cours procure une expérience de cinéma unique en son genre, entre hypnose flottante et douce euphorie, dont les traces persistent longtemps dans la mémoire.

(À suivre.)


Vendredi 13 décembre 2013 | Dans les mirettes |

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