Trouvés à la brocante à un euro pièce, ces trois petits volumes de Théâtre — procurés au Divan en 1931 par Henri Martineau — sont une rareté pour complétiste acharné. Ils constituent aussi un document précieux sur les années de formation de Stendhal, qui vous donne l’impression d’entrer par la petite porte dans l’atelier du créateur. (Plutôt que l’atelier, on devrait dire : la salle des machines. Ça turbine à plein régime là-dedans.)
De dix-huit à trente ans, Stendhal se rêva une grande carrière dramatique en nourrissant l’ambition de devenir rien de moins que le nouveau Molière. Son journal nous le montre fréquentant assidument les théâtres, commentant de manière acérée les pièces auxquelles il assiste, étudiant plume à la main les grands maîtres du genre, ébauchant des canevas, réfléchissant sans cesse aux ressorts de la dramaturgie, avec un intérêt tout particulier pour la construction du personnage et la comédie de caractères.
Aucun de ces projets ne fut mené à terme. Aussi bien, ce qu’avait réuni dans ces trois volumes l’infatigable Martineau, c’est, outre un certain nombre de pièces inachevées, une masse colossale de travaux préparatoires : fragments de scènes, plans, ébauches, scénarios et réflexions sur l’art dramatique. On peut sourire de ces rêves illusoires de grandeur, des kilos de papier noircis durant tant d’années par ce noteur compulsif — qui couvrait de pattes de mouches ses cahiers, les marges de ses livres en cours de lecture, et jusqu’à ses bretelles. Mais Stendhal n’est pas le premier auteur à s’être d’abord mépris sur la vraie nature de ses dons. Et ce ne furent pas des années perdues. Sans le savoir, il était en train de forger ses outils de futur romancier. Et l’on voit bien ce qui, de ce savoir-faire théâtral même non payé de résultats, est passé dans ses romans : le sens de la scène frappante, des retournements rapides de situations, de l’interaction dynamique entre les personnages, le souci de peindre toujours les personnages en mouvement, la psychologie en action, qui donnent un tel allant à la Chartreuse, Lamiel ou Lucien Leuwen.
Un commentaire
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Il faut dire que le genre majeur, au début du XIXe siècle, restait le théâtre. Ceux qui allaient donner leur pleine mesure dans le roman s’y sont tous essayé – il suffit de penser à Balzac ou à Dumas. C’est après 1850 que la tendance s’inverse et que le roman, soutenu par la vogue du roman feuilleton, supplante le théâtre. Cette suprématie perdure jusqu’à nos jours, hélas. Pas pour très longtemps, cependant. Le genre majeur du futur est déjà là : c’est le SMS.
Commentaire par Joël Gayraud 11.25.14 @ 2:01