Call Northside 777

De la série des thrillers et films noirs réalisés par Henry Hathaway pour la Fox, voici sans doute le plus original et le plus stimulant. À Chicago, durant la Prohibition, un ouvrier polonais (Richard Conte) est condamné à une peine de prison lourde pour le meurtre d’un policier. Onze ans plus tard, suite à la parution d’une curieuse petite annonce, un journaliste, P.J. McNeal (James Stewart), reprend l’enquête.

Le film privilégie une approche semi-documentaire novatrice à sa date, proche par moments du reportage, avec recours ponctuel à la voix off, tournage dans une grande variété de décors réels - commissariat, pénitencier, bars et speakeasies, salle de rédaction d’un grand journal, - aperçus sociologiques sur la communauté polonaise de Chicago. Or, ce réalisme très convaincant s’appuie en fait sur une dramatisation serrée dans sa lenteur calculée, une mise en scène et une photo très élaborées, aussi précises qu’un tournage en studio. Par exemple, la scène du bélinographe, volontairement dilatée, est quasiment un mini-documentaire sur le fonctionnement de cet appareil ancêtre du télécopieur (dont on sent qu’il fascine le passionné de technique qu’était Hathaway), mais elle participe en même temps à la construction du suspense, et c’est magistral. (Plus tôt, une autre scène nous a initiés au fonctionnement du détecteur de mensonge ; son inventeur, Leonarde Keeler, y joue son propre rôle.)

La sécheresse factuelle du film, dénuée de pittoresque facile et de sentimentalisme, explique qu’il n’ait pas pris une ride, contrairement à bien des oeuvres plus ouvertement engagées de la même époque. À noter également, l’absence d’angélisme dans la description du travail quotidien de la presse (et a fortiori de la police et de la justice). McNeal n’a d’abord rien du redresseur de torts ; au contraire, il reste longtemps convaincu de la culpabilité de Wiecek. Comme son rédacteur en chef (sobrement interprété par Lee J. Cobb), c’est un professionnel de l’information qui a flairé une bonne histoire dont il pressent qu’elle fera vendre de la copie. Loin d’être éludée, l’ambiguïté du rôle de la presse (même lorsqu’il se révèle positif) est constamment discutée par les protagonistes, et cet élément concourt à la richesse du film, très juste aussi dans la peinture des rapports de force et de pouvoir, qu’ils soient personnels, institutionnels ou communautaires.

Au second plan, les scènes domestiques entre James Stewart et Helen Walker, écrites sur un mode plus léger de comédie conjugale, sont également très réussies. Elles voient notamment le couple s’adonner à l’art du puzzle, passe-temps favori de madame McNeal, et qui sert de métaphore à l’enquête du film : « Si tu ne trouves pas la place d’une pièce, il faut la regarder dans un autre sens », suggère-t-elle à Stewart, et c’est exactement ce qu’il va faire. Autre image-métaphore, ce plan très long où la vérité surgit littéralement d’un bain de révélateur photographique. Pouvoir de révélation de l’image ? La scène, quoi qu’il en soit, est magnifique.

Seules les dernières minutes du film appellent un léger bémol : la sortie de prison de Richard Conte (on s’attendrait à ce qu’il soit attendu par une armée de journalistes et de photographes, mais non), l’optimisme improbable du commentaire (un gage donné à la censure ?), Hathaway soudain n’y croit plus, d’ailleurs tout ça est expédié comme une concession. Et puis, qu’adviendra-t-il du complice supposé de Wiecek, vraisemblablement tout aussi innocent, mais au sort duquel personne ne semble s’intéresser, et qui paraît donc condamné à moisir en prison ? Mystère. À cela près, c’est un sans faute.


Samedi 25 mars 2006 | Dans les mirettes |

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