Dimanche en jazz

Big Two réunit deux concerts enregistrés au Fasching Club de Stockholm les 18 et 19 avril 1980. J’ai hésité à le prendre chez le disquaire d’occasion. Du Warne Marsh, il y en a déjà plein ma discothèque, dont un excellent récital chez Fresh Sound enregistré durant la même tournée. J’aurais eu bien tort de me priver. Peu de disques, ces temps derniers, m’ont procuré autant de joie.

Marsh est dans une forme impériale. Ses lignes mélodiques sinueuses et volatiles se déploient dans l’air comme des rubans de fumée bleue. Son répertoire, on le connaît par cœur, mais on est épaté de la fraîcheur intacte et de la vélocité souvent stupéfiante avec lesquelles il enfourche des standards ou des thèmes dérivés de standards qu’il a dû jouer plusieurs centaines de fois en concert, en parvenant une fois de plus à les réinventer.

Rompu à l’art du duo, Red Mitchell est un partenaire de jeu idéal 1 : un son magnifique de chaleur et de profondeur, une walking bass élastique ponctuée d’arrêts, de rebonds, d’accords arpégés qui font chanter la contrebasse.

Il y a des soirs de club comme ça où l’alchimie est palpable, où des musiciens qui se connaissent depuis trente-cinq ans et sont en accord télépathique réussissent encore à se surpasser. Ce fut le cas ces deux soirs d’avril 1980. La prise de son est de premier ordre.

1 Voir par exemple ce chef-d’œuvre cosigné avec Lee Konitz sur des thèmes de Cole Porter, I Concentrate on You (SteepleChase).


Dimanche 22 mai 2016 | Dans les oneilles | Aucun commentaire


Out of Nowhere

Warne Marsh est mort sur scène en 1987, alors qu’il interprétait Out of Nowhere. Une fin étrangement emblématique pour un musicien dont le timbre sans vibrato, aussi singulier qu’immédiatement reconnaissable, semble en effet surgir de nulle part, et qui aura passé l’essentiel de sa vie dans les clubs de jazz en creusant son sillon dans une tranquille indifférence aux modes. Disciple de Lennie Tristano, Marsh est l’un des rares saxos de sa génération à avoir contourné l’influence écrasante de Charlie Parker pour s’inventer un langage totalement personnel, dont les harmonies obliques et subtiles se déploient en longues volutes aériennes. Sa discographie restant on ne peut plus lacunaire, toute réédition est la bienvenue, et celle de Ne Plus Ultra (1969) tout particulièrement puisqu’il s’agit d’un des meilleurs disques de ce grand unsung hero de l’histoire du jazz.

De Lee Konitz à Pete Christlieb en passant par Art Pepper, Marsh a toujours affectionné le dialogue avec un second souffleur. Il trouve ici en l’excellent Gary Foster un coéquipier idéal. Leurs dialogues fugués où le ténor et l’alto se croisent, s’éloignent, se rejoignent et s’entremêlent sont merveilleusement grisants (cf. par exemple la superbe intro en apesanteur de You Stepped Out of a Dream). Le reste du programme comprend une poignée de chevaux de bataille sur lesquels Marsh a inlassablement improvisé toute sa vie, soit deux compositions de son maître Tristano, Lennie’s Pennies (sur les accords de Pennies From Heaven) et le toujours enchanteur 317 E. 32nd (dérivé, le revoici, de Out of Nowhere), et une pièce de son ex-partenaire Konitz, Subconscious-lee (réécriture de What Is This Thing Called Love), avant un grand morceau d’improvisation collective, Touch and Go (qui rappelle au passage que Marsh participa aux deux premiers morceaux free à avoir été gravés sur disque, Intuition et Digression, en 1949, avec Tristano). En brève coda, une Invention de Bach, où Marsh et Foster prennent congé sur un dernier canon qui est comme la quintessence de leur art : l’élégance et l’intelligence au service d’une émotion pure, filtrée de tout sentimentalisme.

Warne MARSH Quartet, Ne Plus Ultra. HatOLOGY 603.


Jeudi 12 octobre 2006 | Dans les oneilles | Aucun commentaire