Le jardin aux sentiers qui bifurquent
À San Giorgio Maggiore, l’ancien monastère abrite depuis 1951 la fondation culturelle Giorgio Cini. Derrière les deux cloîtres, une réplique du jardin-labyrinthe conçu par Randoll Coate en hommage à Borges. L’ouvrage adopte la forme d’un livre ouvert où se lit deux fois, en miroir, le nom de Borges. Dans cette première image s’inscrivent à leur tour, comme en un palimpseste, le prénom Jorge Luis ainsi qu’un sablier. Pour atteindre la terrasse dominant le jardin, il faut — c’est de circonstance — traverser une bibliothèque spécialisée dans l’histoire de l’art, le théâtre et la musique, qui réunit 15 000 volumes.
La nouvelle bibliothèque
et l’ancienne.
Dilemme
Le dilemme rohmérien qui se présente régulièrement au promeneur vénitien.
Éric Rohmer, la Place de l’Étoile
Baffo
Campo San Maurizio
De Zorzi ou Giorgio Baffo, qu’admiraient Stendhal, Apollinaire, Desnos et Mandiargues, j’aurais aimé citer ici quelques-uns de mes textes préférés, mais mon exemplaire des Œuvres érotiques (Zulma, préface de Pascal Dibié) semble avoir disparu dans les profondeurs de la bibliothèque. L’édition Zulma reprend la traduction en prose du chevalier de Ribeaucourt (1876). La Musardine a réédité en deux volumes la traduction en vers d’Alcide Bonneau publiée en 1884 par Isidore Liseux. Enfin, le poète Maurice Regnault (1928-2006) avait traduit un ensemble de sonnets, paru en 1983 chez Action poétique (voir ici et là). On a donc le choix. En attendant, voici quelques extraits du fameux texte d’Apollinaire (introduction à l’anthologie des « Maîtres de l’amour », 1910, reprise dans les Diables amoureux, Gallimard, 1964).
Baffo, ce fameux vérolé, surnommé l’obscène, que l’on peut regarder comme le plus grand poète priapique qui ait jamais existé et en même temps comme l’un des poètes les plus lyriques du XVIIIe siècle, écrivait dans ce patois vénitien qu’ont illustré un grand nombre d’ouvrages remarquables dans tous les genres. […]
Le patois vénitien a une douceur unique. La grâce et la mollesse s’y mêlent dans des proportions si justes qu’il favorise avant tout le lyrisme érotique bien qu’une littérature patoise soit presque toujours satirique. On peut dire qu’à Venise, la satire fut surtout voluptueuse. […]
Les poèmes de Baffo ne parurent pas de son vivant. Trois ans après sa mort, ses amis firent paraître un recueil qui contenait près de deux cents pièces. L’édition de 1789, due à l’admiration que Lord Pembroke éprouvait pour le poète vénitien, en contient un nombre beaucoup plus grand. L’édition de Liseux qui comporte le texte et une traduction française donne quelques pièces inédites. […]
Ce poète qui fit souvent songer à Horace avait avant tout du bon sens, et la raison ne gênait point son lyrisme.
Pour ce qui est de son obscénité, on peut répondre que le Baffo a chanté ce qu’il a voulu et que ce qu’il a voulu chanter était ce qui lui plaisait le plus : l’amour. Il l’a fait en toute liberté et avec une grandeur que le patois vénitien ne paraissait pas devoir rendre. […]
Le Baffo était content de son époque, il était heureux de vivre, et de vivre à Venise, ville amphibie, cité humide, sexe femelle de l’Europe.
Sans le Baffo, on n’imaginerait pas tout ce que fut la décadence pleine de volupté de la Sérénissime République. Par lui nous connaissons la vie sexuelle de Venise, les fêtes, les Osterie, les Casinos, le Jeu, les Ballerines, les Nonnes libertines. Il n’est pas de petit événement que le Baffo ne chante avec une obscénité sublime : c’est la venue du duc d’York, c’est l’élection d’un nouveau pape, ce sont les débuts d’une actrice, ce sont les mésaventures des jésuites.
Les poésies manuscrites du Baffo couraient la ville. Les jeunes femmes les lisaient en goûtant des sorbets. Cette société raffinée qui vivait à l’anglaise était frappée par un lyrisme auquel les poètes de l’époque ne l’avaient point accoutumée.
Sur les pas de Louis Dembour
Le labyrinthe souterrain du Trou du souffleur existe. Mon amie L en a trouvé l’autre jour l’entrée ouverte au pied de la fontaine du Chatelet. Ne faisant ni une ni deux, elle est bravement descendue explorer ce réseau de galeries humides. On est depuis sans nouvelles d’elle.
Bains Douches
Puisque logé cette fois dans le XVe, on n’a pas manqué d’aller saluer l’immeuble plat de la rue Auguste-Dorchain, que l’imagination de Roger Caillois se plaisait à peupler d’êtres infiniment minces, et vaguement inquiétants. L’effet est toujours aussi saisissant.