Paris, porte de Versailles, parking du Palais des expositions.
Cousin du créateur de réceptions de l’an dernier. Le prochain qui aura la folle audace d’écrire simplement « traiteur » sur son camion, on l’embrasse.
Paris, porte de Versailles, parking du Palais des expositions.
Cousin du créateur de réceptions de l’an dernier. Le prochain qui aura la folle audace d’écrire simplement « traiteur » sur son camion, on l’embrasse.
Hauteville House : le salon rouge
Les photos d’époque étant sombres (en plus d’être en noir et blanc), rien ne prépare le visiteur non averti à la surprise qui l’attend à Hauteville House. Cette demeure extravagante, invraisemblable, révèle un Victor Hugo inattendu, grand coureur de brocantes et accumulateur de bric-à-brac, ayant sur la décoration intérieure des vues très personnelles.
Propriétaire pour la première fois de sa vie, Hugo mit à l’aménagement de sa maison la même fièvre obsessionnelle, à une échelle beaucoup plus modeste, qu’Horace Walpole à Strawberry Hill. Il en fit, comme Walpole, la projection de son monde intérieur. Avec un siècle d’avance, il invente le recyclage : les coffres chinois dont il a la passion sont démembrés et reconvertis en buffets gigantesques, les portes d’armoires sont transformées en tables. À chaque pièce son grand thème. Salle à manger couverte de carreaux de Delft. Corridor de faïence tapissé de plats et d’assiettes (pas seulement sur les murs, mind you, au plafond aussi). Salon des tapisseries (recouvrant là aussi la moindre surface des murs et du plafond). Salon rouge (vraiment rouge), salon bleu, galerie de chêne aux piliers torsadés, telle une forêt gothique. Porte dérobée ouvrant sur un cabinet aveugle qui servait de chambre noire à son fils féru de photographie. Maximes, citations latines et cryptogrammes gravés dans tous les coins. Partout la surcharge, la prolifération et le délire décoratif concourent à faire de la maison une « folie » stupéfiante. Ses proches se plaignent qu’elle soit proprement inhabitable. Il n’en a cure.
« C’est dommage que je sois poète, quel architecte j’aurais fait ! », disait-il à Viollet-le-Duc. De fait, on ne peut s’empêcher, visitant Hauteville House, d’y voir une œuvre à part entière, obéissant aux mêmes principes esthétiques que ses écrits — un vaste poème en trois dimensions, une métaphore construite en dur. Hugo architecte d’intérieur est, à l’image d’Hugo poète, l’homme de l’hyperbole et des grandes antithèses. Dans une émission d’Apostrophes, Hubert Juin disait de lui : «C’est l’homme qui ne pense qu’à la lumière, l’homme qui veut monter sur les cimes, là où l’on peut étreindre le soleil. » L’ordonnancement de Hauteville House matérialise ce parcours de l’ombre à la lumière : depuis les salles sombres du rez-de-chaussée, des percées de lumière vous appellent vers les hauteurs jusqu’à la véranda incendiée de soleil juchée au dernier étage. Dans ce perchoir vitré qu’il appelait son lookout — une fournaise en été, une glacière en hiver —, Hugo écrivait debout de six heures à midi, face à l’immensité bleue de la mer et du ciel.
Saint-Malo
Pouvoir médusant, effet tableau de la réalité. C’est entendu, on n’y voit pas comme en plein jour, mais l’espace d’une seconde on a eu l’impression d’être téléporté dans une toile de Magritte.
Boutique de souvenirs de Rothéneuf.
Ou plutôt Bécassine-Ubu, comme le suggère BC.
Le site est très connu, me dit-on, des férus d’art brut. Je n’en avais jamais entendu parler avant que BC ne me convie à une randonnée pédestre jusqu’à Rothéneuf, à cinq kilomètres de Saint-Malo.
Adolphe Julien Fouéré, dit l’abbé Fouré (1839-1910), fut une sorte de Facteur Cheval en soutane. Atteint de surdité et de problèmes d’élocution suite à une attaque d’hémiplégie, il fut déchargé de son ministère à l’âge de cinquante-quatre ans. Retiré à Rothéneuf, il entreprit de décorer sa maison de sculptures en bois (aujourd’hui disparues), avant d’entamer sur une falaise surplombant la mer une œuvre monumentale directement taillée dans la roche, qu’il poursuivit jusqu’à sa mort.
Comme beaucoup d’artistes dits naïfs, Fouré a puisé son inspiration à des sources multiples qu’il a mariées en un syncrétisme très personnel. Les figures légendaires et les personnages historiques côtoient ici les saints bretons, les animaux et les monstres marins imaginaires. À plus d’un endroit, on pressent que c’est la forme naturelle même des rochers qui lui a suggéré les figures qu’il y a sculptées, et dont certaines, à peine esquissées, semblent des corps pétrifiés dans la lave. L’érosion inévitable et son lent travail d’effacement confèrent à l’ensemble une poésie supplémentaire.
Il n’y avait pas un chat l’après-midi de notre visite, mais on se marche sur les pieds les week-ends et les jours fériés, au dire du jeune gardien du site, installé dans une guérite datant au moins de l’après-guerre — avis, donc, aux amateurs : passez si possible en semaine, hors des périodes de congés. C’est un de ces lieux magiques qu’on a envie, ne fût-ce qu’un moment, d’avoir pour soi seul. Un petit banc de pierre, que j’ai oublié de photographier, invite à la lecture bercée par le bruit des vagues qui viennent frapper les falaises. En face, une île mystérieuse où l’on a cru distinguer une habitation.