Émersion

Enfin un journal cher et luxueux
pour les gens qui ne s’intéressent pas à l’actualité !

BATHYSCAPHE n.m. Appareil habitable destiné à conduire des observateurs dans les grandes profondeurs sous-marines.

Pour la première plongée,
l’équipage

Romy Ashby, Anne-Marie Beeckman, Daniel Canty, Benoît Chaput, Byron Coley, Bérengère Cournut, Jimmy Gladiator, Thierry Horguelin, Anthony Kinik, Julien Lefort, Gabriel Levine, Thurston Moore, Hermine Ortega, Hélène Pelletier, Antoine Peuchmaurd, Hannah Reinier et Alexandre Sanchez

vous parle entre autres de

Vito Acconti, Louis Arti, Wallace Berman, Mario Cesariny, Henri-Simon Faure, Pierre Guyotat, René Guénon, Hédi Kaddour, Mauricio Kagel, Oskar Kokoshka, Jean-Pierre Martinet, Rick Myers, Paul Nougé, Christiane Rochefort, Lou-Andréas Salomé, Charlie Schlingo, Bill Shute, Nikola Tesla, l’échangeur Turcot, la Sacred Harp, Ugly Duckling Press et quelques pigeons mystérieux

accompagné en images par

Julie Doucet, Morag Kidd, Anthony Kinik, Nadia Moss, Antoine Peuchmaurd et Barthelemy Schwartz

et scandé par

des aphorismes comme toujours splendides de Pierre Peuchmaurd,
égrenés au fil des pages

Ces noms ne vous disent rien ? Les fonds marins vous sont inconnus ?
C’est que vous ne savez pas nager !
Le Bathyscaphe a été conçu pour vous :
confort, hygiène, pressurisation
vous permettent de plonger au plus profond
comme si vous étiez dans votre salon !

20 pages en couleurs pour 5 dollars ou 5 euros, sans publicité.

Abonnement (5 numéros) : 20 dollars ou 20 euros, port compris.

5545, rue Saint-Dominique
Montréal, Québec
H2T 1V5
lebathyscaphe.blogspot.com


Vendredi 28 décembre 2007 | Actuelles | 9 commentaires


Le sentiment géographique

La carte est un objet vraiment magique. En quelques décimètres carrés, on a tout un pays pratiquement sous la main, sous les yeux. J’ai un peu un sentiment de possession du terrain ou d’une région par la carte. Elles me fascinent beaucoup, mais pas toutes également ; j’ai des préférences pour certaines. Chaque année, je pars me promener une dizaine de jours dans une région déterminée, mais un peu au hasard des routes, et il m’arrive de regarder la carte routière pendant tout le déjeuner. Je trouve cela inépuisable : les raccourcis, les possibilités d’aller dans tous les sens. C’est absolument passionnant pour moi, et cette carte routière qui n’a pas une grande valeur géographique est une grande source de jouissance.

Il y a deux cartes dont je suis particulièrement proche, ce sont la carte d’État-major au 80 000e et la carte géologique, qui est une sorte de talisman et qui possède une beauté très particulière. J’ai quelquefois pensé à tapisser une pièce avec des cartes géologiques au 80 000e, je suis sûr que ce serait splendide. Oui, ce sont ces cartes-là qui m’ont toujours passionné. J’ai toujours gardé le plus possible ces cartes géologiques chez moi. Je les ouvre de temps en temps, pas toujours dans un but scientifique, loin de là , mais outre qu’elles sont révélatrices, ce sont de très beaux objets en soi. J’ai les sens émerveillés devant une carte.

Il y a deux catégories d’écrivains en ce qui concerne les impressions visuelles : il y a ceux qui sont myopes et ceux qui sont presbytes. Il y a des gens qui en décrivant voient surtout le lointain, et d’autres qui voient les petits objets menus et les décrivent quelquefois merveilleusement. Je ne crois pas qu’on puisse avoir les deux capacités à la fois, on a une préférence pour l’une ou pour l’autre. Je me souviens que Breton, par exemple, ne s’intéressait pas particulièrement aux vastes paysages mais qu’il avait une passion pour les petits objets, ce que j’appelle les bijoux naturels : les coquillages, les oiseaux mouches, les papillons. Je m’intéresse plutôt aux vastes paysages et aux panoramas. Il est certain que si j’ai à me promener et que j’ai le choix de l’itinéraire, je prendrai plutôt un chemin de crête, pour avoir des vues - c’est instinctif. C’est la face de la terre qui m’intéresse, pour reprendre le beau titre de l’ouvrage d’Eduard Suess. J’aime bien découvrir les grands espaces, les grands panoramas me fascinent beaucoup. Je me suis quelquefois demandé pourquoi, et je pense qu’il y a une raison subjective qui joue. Au fond, un grand panorama, c’est la projection d’un avenir dans l’espace. C’est une sorte de chemin de la vie si on veut, mais un chemin qu’on choisirait librement, parce que dans ce paysage on a l’impression qu’on peut aller partout, opter pour n’importe quel parcours. C’est ce qui fait pour moi le charme extraordinaire des grands plateaux nus, l’Aubrac, les Causses. Je pense qu’il y a là en même temps la projection du temps dans l’espace, de ce que j’appelle le chemin de la vie, mais alors au lieu que ce soit un destin fermé… Il y a des obstacles mais aussi une impression de liberté très étonnante. C’est ce qui est fascinant dans le panorama pour moi, je crois. Il est sûr que je me classerai plutôt dans cette catégorie. Tous les géographes d’ailleurs sont de ce côté, je pense.

Julien Gracq, entretien avec Jean-Louis Tissier (1978)
rediffusé ce matin sur France-Culture.

Les photographies sont empruntées à l’excellent blog Ace Jet 170 de Richard Weston, qui partage entre autres choses cette fascination pour les cartes géographiques.


Lundi 24 décembre 2007 | Au fil des pages | 2 commentaires


Mélancolie

Il y a comme ça des fins d’année qui ressemblent à des cimetières.


« Je suis assez doué pour la flânerie. »

- Oui, le monde extérieur existe pour moi. Et fortement. Et ce sentiment de très vigoureuse existence s’accompagne du sentiment du oui, plutôt que du non. Il est possible, d’ailleurs, que l’époque où j’ai écrit ait été de nature à souligner cette attitude. Entre 1939 et 1955, époque à laquelle j’ai publié le plus, la littérature était très marquée par une attitude négative, hostile même, vis-à-vis du monde extérieur: attitude que Sartre a fixée, dès ses débuts, dans les pages bien connues de la Nausée. J’étais très étonné, à l’époque, par ces romans peuplés de conversations de café, à tendance métaphysique.

J’ai dit tout à l’heure que je n’étais pas très intéressé par le roman psychologique. Je pense que les personnages de mes romans portent la marque de ce désintérêt. Mais en revanche, ils sont au monde, comme on dit, non sans pertinence ; ils n’ont pas rompu avec lui un lien pour moi vital, rupture qui donne au roman psychologique à la française ce côté « fleur coupée » que j’ai dénoncé autrefois.

Je suis frappé, bien souvent, par le peu de place que tient dans le roman français le monde extérieur, surtout celui qui n’est pas fait de main d’homme. Le monde de Balzac est un monde de maisons, de tanières. Quand la campagne trouve place dans notre littérature, c’est généralement avec une arrière-pensée de prédication du « retour à la terre », chez George Sand comme, sur un autre plan, dans les premiers romans de Giono. J’aime bien le mythe d’Antée, qui reprend des forces chaque fois qu’il retrouve le contact avec le sol. Ce qui ne signifie aucunement chez moi un penchant pour le roman bucolique. Je mets dans le mot de « contact » un sens qui n’a rien d’agricole.

Je n’y mets pas non plus la pure sensualité qui est celle de Gide dans les Nourritures terrestres. Je me suis senti en cela proche du surréalisme dès que je l’ai connu : pour Breton le surréel n’était pas une transcendance, il était immanent au réel. C’est une façon de voir qui m’est familière.

Julien Gracq, entretien avec Jean Roudaut,
Magazine littéraire n° 179, décembre 1981.
Repris dans Entretiens, José Corti, 2002.


Dimanche 23 décembre 2007 | Au fil des pages | 1 commentaire


Christian Bourgois

« Ma biographie, c’est mon catalogue », aimait-il à dire [1]. Lecteur vorace dès l’enfance, le contact quotidien des livres continuait à l’émouvoir. Il aimait le travail matériel de l’édition (choisir une illustration de couverture, rédiger une prière d’insérer) et prétendait, malgré ce qu’est devenu le marché du livre, continuer à faire le même métier que ses grands devanciers du XIXe siècle, Michel Lévy et Poulet-Malassis. Il n’avait jamais eu de comité de lecture. Avec Losfeld, Pauvert, Maspéro, Maurice Nadeau et Jérôme Lindon, Christian Bourgois aura été l’une des figures majeures de l’édition indépendante française de l’après-guerre. Et sa maison, l’une de celles dont le catalogue s’identifie si intimement au goût et à la personnalité d’un homme que sa mort nous touche comme la perte d’un proche à qui l’on doit tant de découvertes. Le goût de Bourgois était fait d’exigence et de curiosité, de fidélité à ses auteurs, à quoi s’ajoutait une élégance de grand seigneur. Le hasard des rencontres y avait aussi sa part comme dans toute vie d’éditeur, et il se reconnaissait volontiers dans le mot de Montecuculli, général vénitien du XVIe siècle: « Il faut toujours saisir une occasion par les cheveux, mais il ne faut jamais oublier qu’elle est chauve ». Burroughs, Lovecraft, Boris Vian, Arno Schmidt, la beat generation, Fante, Brautigan, Dorothy Parker, Jim Harrison, Gadda, Borges, Jünger, Gombrowicz, Savinio, Tabucchi, Pessoa, Rushdie, Montalbán, Vila-Matas, Toni Morrison, Lobo Antunes, Roberto Bolaño, Jean-Christophe Bailly… La liste serait sans fin (il faudrait y ajouter le catalogue de 10/18 sur lequel il veilla jusqu’en 1991, et je n’ai rien dit des essais) ; chacun y reconnaîtra les siens et la complètera à son gré.

1. Rencontre à la Maison de la Francité de Bruxelles, 1996.


Jeudi 20 décembre 2007 | Le monde du livre | 4 commentaires


Chambres


Rome, avril 1999


Lundi 17 décembre 2007 | Chambres | Aucun commentaire


Ça, c’est de la coquille

Il y a quelques jours, étant de passage à Nantes, au retour d’une excursion à Belle-Île, j’ai lu, dans un journal de Paris, que j’allais publier un livre formé de plusieurs nouvelles, dont une, la dernière, était intitulée « Rldasedlrad les dlcmhypbgf ».

Valery Larbaud, Jaune bleu blanc.

Pataquès mécanique, bien sûr. Mais là-dessus, Larbaud se met à rêver :

Évidemment, en m’attribuant un ouvrage intitulé Rldasedlrad les dlcmhypbgf, la linotype de ce journal avait voulu, ou bien se moquer de moi, ou bien me fournir un thème, me conseiller d’écrire sur un sujet qui lui tenait à coeur, et qu’elle avait essayé, en son langage de machine, de m’indiquer. Or, une linotype est une machine d’aspect trop sérieux pour qu’on puisse s’arrêter à l’hypothèse d’une plaisanterie. Qu’avait-elle donc voulu me dire, et quel sujet me demandait-elle de traiter ?

Et de tenter de décrypter ce que peut bien vouloir dire Rldasedlrad les dlcmhypbgf en mobilisant les ressources d’une étymologie de fantaisie ; et d’imaginer ce que pourrait raconter une nouvelle portant un titre pareil.


Jeudi 13 décembre 2007 | Grappilles | 1 commentaire


Penguinophilie

Malgré les arguments massues du Cétautomatix qui sommeille en moi, j’ai craqué pour deux volumes de la série King Penguin, qu’on trouve encore à bon marché sur eBay UK. Cette collection occupe une place à part dans la production de l’éditeur et fut en quelque sorte la danseuse d’Allen Lane. Inspirés d’une collection illustrée allemande éditée par Insel Verlag, ce sont d’élégants petits ouvrages à couverture cartonnée de 64 à 72 pages, réunissant un texte succinct et une abondante iconographie. Ils embrassent des sujets tels que l’héraldique et la calligraphie, la faune et la flore, les arts appliqués et l’imagerie populaire. Soixante-seize titres furent publiés de 1939 à 1959. Tschichold apporta un soin particulier à la réalisation d’A Book of Scripts dont il dessina lui-même la couverture d’après une page de l’Arte Subtilissima intitulada Orthographia Pratica de Juan de Yçiar (1547). Le livre fut primé en 1949 par la National Book League.

J’ai par ailleurs un faible pour les couvertures de Derek Birdsall, qui travailla pour Penguin dans les années 1960-1970. Elle ont une classe folle dans leur simplicité, leur emploi signifiant de la typographie. Quoi de plus approprié, pour les Mots de Sartre, qu’une couverture uniquement faite de mots, les premiers du livre ?

Birdsall réalisa aussi les couvertures d’une nouvelle édition des romans de Somerset Maugham en photographiant sur fond noir un pêle-mêle d’objets anciens - cartes postales, figurines, billes, bouchons, coupe-papier, monocle, aiguilles de phonographe, jeux de cartes et de dominos… Idée souvent imitée par la suite. Détail supplémentaire, les vingt couvertures mises bout à bout formaient une seule et même longue image.

Enfin il y a la fameuse Penguin Education Series (1969-1972). Ici encore, Birdsall tire un maximum d’impact d’une économie de moyens parfaitement ajustés. À une époque où les graphistes faisaient exploser la couleur, il est probable que les grands caractères noirs sur fond blanc attiraient immédiatement l’attention sur les tables des libraires. En outre, les dos des livres composent un ensemble dynamique, qui se repère de loin sur les rayonnages.

Mais le plus brillant de l’affaire, c’est évidemment la manière dont la typo même du titre intègre une astuce graphique illustrant avec humour le thème du livre.