Attraction paronymique

C’est en suivant un lien de Lève ta jupe que j’ai appris ce qu’était une attraction paronymique. On désigne sous ce terme le processus par lequel l’usage transforme un nom de lieu dont le sens est mal compris, ou ne l’est plus, en lui substituant par association d’idées un quasi-homonyme de consonance plus familière.

Ainsi le ruisseau Arbour devint-il avec le temps le ruisseau à Rebours, tandis que l’île du Corossol (du nom du navire y ayant fait naufrage au XVIIe siècle) fut rebaptisée île du Carrousel. Le passage d’une langue à une autre favorise naturellement ce type de déformation. La rivière que les Montagnais nommaient Wanamane, les colons français la renomment rivière La Romaine. Parce que les Anglais employaient le terme de meeting pour désigner les rassemblements religieux, tel lieu-dit de Roxton Pond (Cantons de l’Est, Québec), où se dressait une chapelle, s’appelle aujourd’hui la Petite-Mitaine. Quant au cap d’Espoir, il s’est changé en son contraire en devenant en anglais Cape Despair. Ces exemples sont cités par la commission de toponymie du Québec.

Mon préféré dans le genre reste la Rotten Row de Hyde Park, qui s’appelait à l’origine… route du Roi.


Samedi 28 février 2009 | Grappilles | Aucun commentaire


Mercedes Legrand

Parce que Stols et parce que Larbaud, on n’a pas résisté à l’achat de cette plaquette, sortie des presses de l’éditeur hollandais en 1928. Poète et peintre associée à l’avant-garde des années 1920, Mercedes Legrand (1893-1945) a sombré dans un oubli quasi complet. Elle fait partie de ces nombreux écrivains — d’Emmanuel Lochac à Jacques Audiberti — que Larbaud prit sous son aile et dont il encouragea les débuts en faisant campagne pour eux auprès d’éditeurs et de revues. Larbaud convainquit ainsi Stols de publier Géographies, pour lequel il rédigea une belle préface où il dit son amour des atlas et des cartes géographiques, merveilleux stimulants à l’imaginaire et à la rêverie poétique.


Mercedes Legrand, Fête du 14 juillet (1923)
Source, accompagnée d’une notice biographique.

Mercedes Legrand, née en Espagne de parents belges, fit ses études à Bruxelles, en Angleterre et en Allemagne. Au-delà de cette enfance si proche de la sienne, enfance de voyages et de pensionnats enrichie par le contact précoce avec des langues étrangères, Larbaud avait toutes raisons de s’être reconnu dans l’œuvre de sa cadette. Les poèmes de Géographies, impressions comme peintes à l’aquarelle de villes européennes glanées en Allemagne, en Angleterre, en Espagne, en France, etc., sont en effet typiques de la veine cosmopolite de la poésie du début du XXe siècle, à laquelle appartiennent les Poésies de A.O. Barnabooth. Dans une lettre datée du 7 janvier 1928, Larbaud fait part à Stols de la surprenante coïncidence de leurs univers :

Il y a un parallélisme curieux entre ce que fait Mme Legrand comme écrivain et ce que j’ai fait moi-même, et cependant elle n’avait pas lu les Poésies de A.O.B. quand elle a écrit Géographies, ni Enfantines quand elle a écrit une série de portraits de très jeunes filles qu’elle compte publier (illustrée) sous le titre de Irène, Léni, Véra… Enfin, un roman qu’elle écrit en ce moment, et qu’elle a commencé il y a deux ans, me semble prolonger et illustrer certaines choses que j’ai indiquées dans Amants, heureux amants…, qu’elle a lus voici quelques mois seulement. Ce roman tel qu’il est actuellement, à l’état d’ébauche, me semble le roman confidentiel que j’aurais pu prêter à une des héroïnes de Amants, heureux amants… Enfin, je fais tout mon possible pour encourager Mme Legrand à continuer et à terminer ce livre, dont le développement m’intéresse beaucoup. Il va sans dire que je n’interviens pas dans son travail. Un écrivain est un peu comme un somnambule, qu’il ne faut pas réveiller pendant sa crise. Je la laisse maîtresse de son sujet comme de son style, et je me contente de lui dire : cela est inutile, ou : expliquez plus amplement ceci. Enfin, nous verrons bien ce qui sortira de là. Mais je crois que ce sera très bien. En tout cas, elle écrit un français très net, très délié, très souple, sans pédanterie, et dont les possibilités me font attendre beaucoup d’elle.

Par la suite, Larbaud et Legrand traduisirent ensemble Trois Natures mortes d’Eugenio d’Ors et Rosaura de Ricardo Güiraldes. Puis il se brouilla avec elle pour des raisons mal élucidées.


Prière d’insérer, sans doute rédigée par Larbaud.


Dimanche 15 février 2009 | Au fil des pages | Aucun commentaire


Couleur lilas

Blake Edwards : Tout a commencé la nuit où je suis allé à cette party…
Julie Andrews : Bien avant que tu me connaisses.
Edwards : Juste. Je n’avais pas encore fait la connaissance de Julie. À cette soirée, il y eut une discussion sur ces individus qui se trouvent catapultés vedettes du jour au lendemain, et les raisons expliquant ce phénomène. Lorsque le nom de Julie fut mentionné, je prononçai une phrase dont l’impact sur l’assistance fut tel que, le jour suivant, je reçus un coup de fil de Joan Crawford (qui n’était pas présente à cette soirée, et que je n’avais jamais rencontrée) me disant que c’était la réplique la plus drôle qu’elle ait jamais entendue. Les gens étaient en train de se perdre en conjectures sur ce qui avait fait le succès de Julie et, juste au bon moment, j’ai lancé: « Je vais vous dire très précisément de quoi il retourne : elle a du lilas à la place des poils pubiens. » Lorsque le calme fut revenu, Stan Kanen, de l’agence William Morris, me dit : « Avec ta veine, tu vas finir par l’épouser. » Et avec ma veine, c’est ce que j’ai fait ! […] Et maintenant elle m’offre du lilas à chaque anniversaire de mariage.
Andrews : Dans tous les sens du terme, n’est-ce pas Blake ?
Edwards : Oui, chérie.

Playboy, décembre 1982.

 

L’anecdote est relativement connue, mais j’adore la manière éminemment edwardsienne avec laquelle elle est amenée, exactement comme un gag de ses films: le sens de la mise en place (dans une party, bien sûr), l’effet avant la cause, la précision du timing (juste au bon moment), l’alliage détonnant de scabreux et de sophistication, l’explosion finale d’euphorie. (Sans oublier la complicité érotique suggérée.) C’est, virtuellement, une leçon de mise en scène. Le Lorsque le calme fut revenu m’enchante à chaque lecture.


Vendredi 6 février 2009 | Grappilles | 4 commentaires


Roussel tel qu’en lui-même

Un magnifique tableau-hommage à Raymond Roussel, qui ne laisse pas de me fasciner.


La femme invisible. À la mémoire de Raymond Roussel
Huile sur toile 195 x 130 cm
Tableau peint par la machine de Louise Montalescot

Non seulement la toile est truffée d’allusions, mais sa facture minutieuse fait en soi écho à l’écriture de Roussel.


Beaucoup d’autres détails à découvrir ici :
http://in-memoriam-raymond-roussel.over-blog.com

Et pour les non-rousselophiles, le fameux portrait de l’auteur d’Impressions d’Afrique dont s’est inspiré l’artiste.


Jeudi 5 février 2009 | Grappilles | 2 commentaires


Ce qu’ils lisent

Liège
Dans l’autobus 4, une vieille dame chiffonnée lit un roman sentimental, tandis qu’une étudiante maladive s’absorbe dans un thriller.

Dans le train Liège-Bruxelles
Les Confessions d’une accro du shopping de Sophie Kinsella intéressent une jeune femme bien mise. Une quadragénaire a posé Death in Holy Orders de P.D. James sur sa tablette.

Bruxelles
Sous l’abribus, un étudiant à tête d’Aramis attend le 71 en potassant De re publica de Cicéron dans une édition critique allemande.
Gare centrale, quai n° 3. Un jeune barbu chaussé de bottines en est à la moitié de Harry Potter et le prince de Sang-Mêlé de J.K. Rowling. Plus loin, une petite dame à cheveux blancs emmitouflée dans un manteau qui lui descend jusqu’aux pieds est plongée dans Comme un vol d’aigles de Ken Follett.
Passe une jeune femme en manteau violet, tenant en main Seul sur la mer immense de Michael Morpurgo.


Mercredi 4 février 2009 | Ce qu'ils lisent | 2 commentaires