Démocrite et son rire

Nul homme encore n’a marché. Apprenons au moins à rire.

Tous les lecteurs le savent : nos bibliothèques forment des labyrinthes à notre image. Ce ne sont point de froids conservatoires mais des organismes vivants, à l’instar des auteurs qui la peuplent et avec lesquels se noue un dialogue imaginaire à peu près continu. Il suffit de fermer les yeux pour se retrouver conversant avec Pétrone ou Thomas De Quincey, déjeunant avec Horace ou déambulant de nuit dans Paris avec Nerval. Né d’un tel commerce, le Rire de Démocrite, après Sous un ciel dévoyé (Le Cormier) et Savoir de guerre (William Blake & Co), est un livre de lecteur autant que d’écrivain – c’est en vérité la même chose. Cent courts textes le composent, dans un ordre savamment médité. Ils tiennent tour à tour – ou tout à la fois – de l’aphorisme, du petit traité, du poème en prose, de l’exercice d’admiration, de la biographie brève chère à Borges et Marcel Schwob, et de la bombe à retardement – car ce livre de ferveur est aussi un livre de combat. Contre le vague et les idées courtes de l’époque, Christophe Van Rossom met en pratique une morale du style qui se refuse à séparer la poésie et l’essai, le savoir et l’ivresse, la passion et l’intelligence, la lucidité altière, la jubilation et le plaisir aristocratique de déplaire cher à Baudelaire.

Christophe Van Rossom est un homme de conversation. Passer quelques heures en sa compagnie, c’est s’embarquer dans un périple mémorable où l’on circule de Gorgias à la musique baroque, de Sade à Chesterton et des gnostiques aux évangiles apocryphes en passant par les films de Cronenberg et de David Fincher, avec quelques excursus du côté des meilleurs purs malts et de la cuisson exacte du poisson – puisque aussi bien ce qu’on nomme faute de mieux la culture est inséparable de ce qu’on nomme faute de mieux la vie, sinon à quoi bon lire et se cultiver ? J’aurai donc grand plaisir à m’entretenir avec lui le samedi 2 mars à midi à la librairie Quartiers latins (14 place des Martyrs, 1000 Bruxelles).

Sur Savoir de guerre, voir l’excellent article de Laurent Albarracin.
Le blog de Christophe Van Rossom.

 

LE RIRE DE DÉMOCRITE

Juvénal écrit qu’un rire perpétuel secouait les poumons de Démocrite. Plus loin, il ajoute que Démocrite trouvait matière à rire à chaque rencontre. À propos de Démocrite, Juvénal précise et développe : Sa sagesse démontre que de grands hommes, capables de donner de beaux exemples, peuvent naître dans la patrie des moutons et sous un air épais. Il riait des soucis et aussi des joies du vulgaire, parfois de ses larmes mêmes. Quand la Fortune le menaçait, il l’envoyait se faire pendre ailleurs et la narguait du doigt.
J’évoque une légende.
Peu m’importe que le Démocrite que je dis n’est pas celui dont les poumons se sont emplis de l’air d’Abdère au Ve siècle avant le fils du charpentier. Peu me chaut que le père de l’atomisme n’ait pas ri, ni posé les actes que suggère le pseudo-Hippocrate et qu’a rappelés si superbement Jean de La Fontaine. De lui (ou de sa légende), je retiens l’absence souveraine d’illusion, la volonté de discerner, la capacité à bâtir un savoir, une pensée et une éthique praticables, mais aussi sa théorie du hasard, son relativisme sensualiste, le concept sublime enfin d’équilibre dynamique.
De l’hyperphilosophe, je note aussi cette recommandation : N’accepte aucun plaisir sauf s’il te convient, et cette conviction que tout homme a le pouvoir de se recréer, intégralement.

Christophe Van Rossom

Le Rire de Démocrite est publié à La Lettre volée.


Mercredi 27 février 2013 | Actuelles | Aucun commentaire


Librairies du monde (6)

La grande librairie Eslite occupe trois étages d’un immense immeuble du centre-ville de Taipei que se partagent des commerces et des bureaux. Le cadre, l’ambiance et l’abondance du choix rappellent davantage Foyles que la Fnac ou Renaud-Bray. Inévitablement, d’accablantes piles de Fifty Shades of Grey nous accueillent à l’entrée, mais tant mieux si cela fait marcher le tiroir-caisse puisque la librairie propose par ailleurs un fonds d’une richesse étourdissante dans tous les domaines, de la littérature (chinoise et étrangère) à la philosophie (idem) en passant par les beaux-arts et les sciences humaines. Le roman de chevalerie semble jouir là-bas du même succès que la fantasy ici : vingt et une étagères lui sont consacrées.

Il existe, de Queneau, des traductions déjà anciennes de plusieurs romans, mais point hélas des Exercices de style, dont j’aurais volontiers enrichi ma collection. J’ai donc jeté mon dévolu sur la seule traduction en chinois de Georges Perec, qui se trouve être curieusement W ou le souvenir d’enfance, plutôt que les Choses ou la Vie mode d’emploi.











Butterfly Awards

La Taipei Book Fair Foundation m’a invité à participer au jury international des Butterfly Awards, qui récompensent les plus beaux livres sous l’angle de l’originalité de la conception graphique et de la qualité de la réalisation : format, papier, reliure, mise en page, impression, façonnage, etc. Une cinquantaine de livres faisaient partie de la sélection finale. Il y avait de tout : poésie, roman, livres illustrés, journaux de voyage, art, design, architecture, photographie. Nous les avons examinés des heures durant sous toutes leurs coutures, accompagnés d’aimables interprètes chargées de nous éclairer sur leur teneur, puisque aussi bien le fond et la forme sont indissociables et qu’une « belle maquette » n’a de sens que si elle s’accorde intimement au contenu de l’ouvrage.

Aucun des livres en lice n’était indigne d’intérêt — les plus beaux n’étant pas nécessairement les plus spectaculaires. Dans l’ensemble, j’ai été épaté par le talent, l’élégance, le sens du détail et le savoir-faire déployés, le soin artisanal apporté à la fabrication, et puis la qualité des papiers — les papiers, caramba ! Je voudrais bien disposer des mêmes pour mes propres travaux d’édition, ce serait la fête. Étonnement aussi, à la remise des prix, de découvrir le jeune âge des lauréats et lauréates, tous dans la vingtaine ou la jeune trentaine, la plupart frais émoulus d’écoles d’art graphique, là où je m’attendais à trouver de vieux routiers.

Parmi les livres que nous avons primés figurent deux ouvrages sur le design des livres et l’histoire de l’édition à Taïwan, dont je n’ai pu m’empêcher de faire l’acquisition. Je ne pourrai évidemment pas les lire, mais il y a plein de couvertures et de livres reproduits et j’adore les livres sur les livres.









Librairies du monde (5)

Introducing Le Pigeonnier, la librairie française de Taipei, qui est aussi un lieu de rencontres et d’échanges, doublé d’une petite maison d’édition. Elle fut fondée en 1999 par Françoise Zylberberg (1944-2010), dont on peut lire un portrait ici.





TIBE 2013

Avec ses trois immenses pavillons et ses six cent mille visiteurs, la Foire internationale du livre de Taipei, la plus importante d’Asie, la quatrième en importance dans le monde (derrière Francfort, la BookExpo America et la Foire du livre de jeunesse de Bologne), ferait passer le Salon du livre de Paris pour une obscure foire de province.
Taïwan compte officiellement plusieurs milliers de maisons d’édition. Il s’y publie chaque année près de cinquante mille titres. L’île est le quatrième marché mondial d’exportation du livre en français.



















Chambres


Taipei, Grand Hyatt Hotel


Mardi 5 février 2013 | Chambres | 3 commentaires