Spielberg et la Linotype




The Post confirme, deux ans après Bridge of Spies, que le classicisme old school réussit fort bien à Steven Spielberg. Situé en 1971, le film raconte le scandale né de la divulgation de documents gouvernementaux relatifs à la guerre du Vietnam, et le rôle de la presse dans cette révélation. Ce scandale – qui fit passer le Washington Post du statut de journal local à celui de grand quotidien national – précéda de peu celui du Watergate. Le film de Spielberg s’arrête exactement là où commençait All the President’s Men et peut être vu comme un long prologue après coup au film de Pakula.

Cela étant, l’approche des deux cinéastes n’est pas exactement la même. Tandis que Pakula détaillait le patient travail d’enquête et de recoupement des sources, Spielberg s’intéresse plutôt aux rouages de la prise de décision au sein d’une entreprise de presse. En cela, on pourrait rapprocher The Post des films de Preminger consacrés à de grandes institutions ou encore d’une série comme The West Wing (l’importance des joutes verbales et la présence au générique du scénariste Josh Singer y invitent). Ce qui distingue aussi les deux films, c’est leur position dans le temps par rapport aux événements narrés. All the President’s Men fut tourné quatre ans seulement après le cambriolage du Watergate, tandis que The Post reconstitue un épisode vieux de quarante-cinq ans, qui appartient déjà à l’histoire. Curieusement, cependant, c’est le film de Pakula qui paraît le plus détaché, le plus éloigné du reportage à chaud, par sa mise en scène distancée, son recours aux plans longs, sa durée étale, typiques de la première manière du cinéaste (cf. Klute et The Parallax View) ; tandis que la dramaturgie plus classique du film de Spielberg veut procurer un sentiment d’immédiateté en nous plongeant au cœur de la mêlée.

C’est à un autre niveau que joue, chez Spielberg, le recul historique et qui fait l’intérêt visuel de son film – au-delà de l’apologue attendu sur la liberté de la presse, qui s’inscrit dans une longue tradition américaine (et se veut bien sûr un commentaire implicite sur les États-Unis d’aujourd’hui, à l’heure de l’administration Trump, du règne de Fox News et des fausses nouvelles). Que nous montre The Post ? Un monde d’avant l’informatique et la « dématérialisation des flux de communication », comme on dit ; un monde d’objets lourds et robustes, d’objets résistants, en contraste frappant avec l’esthétique light (et fragile) d’aujourd’hui. La production de l’information y mobilise un personnel considérable, depuis les salles de rédaction bondées jusqu’à l’infanterie des emballeurs et des livreurs de journaux. Les appareils de communication ont à l’écran une densité, une présence impressionnante et pèsent de tout leur poids de réalité : machines à écrire aux touches dures, téléphones à cadran et voyants lumineux, télex et photocopieurs massifs munis de gros boutons poussoirs, rotatives gigantesques. Et Spielberg a pris un évident plaisir de filmeur à mettre en scène, en des plans presque lyriques, la chaîne matérielle de fabrication de l’information : depuis la frappe des textes, leur saisie sur Linotype, le serrage des formes et le ballet des rotatives jusqu’à l’arrivée des journaux dans les kiosques. Ce plaisir – comparable à celui de François Truffaut improvisant un reportage sur le pneumatique parisien aux deux tiers de Baisers volés – sera contagieux pour tout amoureux de la chose imprimée.

















Dimanche 29 mars 2020 | Dans les mirettes | 2 commentaires


Confinement


Sir Albert Richardson (1880-1964)

The architect Sir Albert Richardson refused to have electricity or any modern conveniences at Avenue House, the Georgian house at Ampthill in Bedfordshire that he bought in 1919 and made his home for the next forty-five years, preferring candles and lamps and immersing himself in the past. He was also fond of dressing up in Georgian costume around the house.

Adrian Tinniswood, The Long Weekend.
Life in the English Country House Between the Wars
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Jonathan Cape, 2016.




Avenue House


Dimanche 22 mars 2020 | Choses anglaises, Grappilles | Aucun commentaire


Autre chose

Le début de cet article de Gérard Legrand sur l’Effrontée de Claude Miller (Positif, janvier 1986), je ne l’ai jamais oublié.
Outre qu’il résume ce que devrait être l’activité critique — tâcher d’apporter des éléments d’analyse originaux plutôt que de répéter ce qu’ont déjà écrit ses confrères —, j’y repense toujours en période de « crise ». Essayons s’il vous plaît de parler d’autre chose.


Mercredi 18 mars 2020 | Actuelles | Aucun commentaire


Chambres


Bruxelles, hôtel Rétro


Mercredi 4 mars 2020 | Chambres | Aucun commentaire


Hitchcock, Disney et les acteurs




Source : Dans l’ombre d’Hitchcock. Alma et Hitch
(Laurent Herbiet et Patrick McGilligan, 2019)


Mardi 25 février 2020 | Dans les mirettes | Aucun commentaire


D’autre part (6)


En couverture, détail d’une photo d’Antoine Peuchmaurd

Sur le site de l’éditeur.


Samedi 15 février 2020 | Actuelles | Aucun commentaire


De la morale

Il est de bon ton de blâmer la morale, toujours insupportable, réactionnaire, judéo-chrétienne. Il est certain en effet que la Bible ne recommande guère le meurtre, l’inceste, le parjure, l’adultère et que c’est dommage. Mais enfin les mêmes penseurs qui s’offusquent de cette morale ou de tout ce qui lui ressemble sont ceux qui pointent avec une minutie de douanier canadien ou d’inquisiteur sans bûcher ce que doit ou ne doit pas contenir un film : pas de soupçon de misogynie, de sexisme, de racisme, de moralisme, de sentimentalisme, de nationalisme, de populisme, pas de caricature de Bretonne ni de Corse, une juste représentation des classes sociales, de l’ambition mais pas de prétention, pas d’orgueilleuse maîtrise mais une « prise de risque », pas de lieux communs, forcément paresseux. Prudence ! Admettons que ces commandements ne sont pas moraux et qu’un film ne peut être bon s’il ne s’y soumet pas ! Adieu Griffith, Buñuel, Eisenstein, Ford, Risi… D’austères Catons nous ont persuadés que les opinions scandaleuses doivent être tues, nous qui croyions sottement que la vraie morale, qui se moque de la morale, impliquait l’intérêt et la tolérance pour l’expression des morales qui ne sont pas les nôtres.

Alain Masson, « Quelques mots. Auteur et genre ».
Positif n° 708, février 2020.
(Tout l’article est à lire.)


Jeudi 6 février 2020 | Grappilles | 1 commentaire