In memoriam Jean Lorrain
Nice, place de l’Île-de-Beauté
Si vous saviez dans quel quartier je suis logé, vous verriez combien je suis peu hivernant niçois. J’habite le port, au milieu des pêcheurs et des paquebots en partance […] Cet horizon retrouvé a été celui de mon enfance. [Lorrain était natif de Fécamp.]
Lettre à Georges Normandy, 17 mai 1906.
Jean Lorrain s’était établi à Nice en 1901, à la Villa Bounin. Ce n’est qu’en mai 1906 qu’il emménagera au 7 place Cassini (rebaptisée depuis place de l’Île-de-Beauté), dans un grand appartement donnant sur le vieux port. Il mourra quelques semaines plus tard, le 30 juin. Sa mère conservera l’appartement jusqu’à sa propre mort, en 1926.
Le verbe « célébrer » prête à sourire quand on sait le peu de cas que faisait Lorrain de la bonne société niçoise et dans quel vitriol il trempait ses chroniques.
Le site jeanlorrain.net, auquel je dois ces détails biographiques et l’extrait de la lettre à Georges Normandy, reproduit la chronologie détaillée établie par Thibaut d’Anthonay pour sa biographie de Jean Lorrain (Fayard, 2005).
Trompe-l’oeil
Nice, musée Matisse
Nice, place Garibaldi
Carrefour d’influences — italienne, anglaise, russe… —, Nice offre un séduisant patchwork architectural. Le baroque triomphe dans les églises et les chapelles — de nombreux architectes piémontais ont séjourné ici —, le genre Belle Époque côtoie le style Paquebot, les villas multiplient les pastiches désinvoltes. Couronnant le tout, les façades en trompe-l’œil déploient leur charme mystifiant au musée Matisse et dans le vaste décor de la place Garibaldi (conçue à la fin du XVIIIe siècle par l’architecte Antoine Spinelli, c’est l’un des espaces urbains les mieux proportionnés qu’il m’ait été donné de voir). Les fenêtres et les volets sont vrais, tandis que les frontons, les chambranles et leurs ombres portées sont peints ; mais, suivant la distance, l’angle et la lumière, tantôt tout a l’air vrai, tantôt tout a l’air faux. L’illusion est superbe.
Librairies du monde (7)
Espace aéré réparti sur deux niveaux, ampleur et variété du choix : on s’est pris, à Nice, d’affection immédiate pour la Librairie Masséna (55 rue Gioffredo). Les amateurs de livres anciens iront musarder dans la Librairie Niçoise (2 rue Défly) et la librairie L’Escurial (29 rue Alphonse-Karr).
Passages
Le vieux Toulon aux venelles étroites abandonnées à leur décrépitude. On ne résiste jamais à la magie des passages, ces couloirs parallèles qui suggèrent l’existence d’une cité secrète doublant celle que nous arpentons.
Orphée en Provence
En 1959, Jean Cocteau tourne son dernier film, le Testament d’Orphée ou Ne me demandez pas pourquoi, dans les impressionnantes et monumentales carrières de calcaire des Baux-de-Provence. Guest stars : Picasso, Jacqueline Roque, Yul Brynner, Lucia Bosé, Jean Marais, François Périer, María Casares, Daniel Gélin, Jean-Pierre Léaud, Charles Aznavour, Françoise Arnoul, Claudine Auger, etc.
On a trouvé, soldé dans la boutique du lieu, un album de photos de tournage de Lucien Clergue légendées à la main par Cocteau (Actes Sud, 2003).
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Librairies du monde (6)
La grande librairie Eslite occupe trois étages d’un immense immeuble du centre-ville de Taipei que se partagent des commerces et des bureaux. Le cadre, l’ambiance et l’abondance du choix rappellent davantage Foyles que la Fnac ou Renaud-Bray. Inévitablement, d’accablantes piles de Fifty Shades of Grey nous accueillent à l’entrée, mais tant mieux si cela fait marcher le tiroir-caisse puisque la librairie propose par ailleurs un fonds d’une richesse étourdissante dans tous les domaines, de la littérature (chinoise et étrangère) à la philosophie (idem) en passant par les beaux-arts et les sciences humaines. Le roman de chevalerie semble jouir là-bas du même succès que la fantasy ici : vingt et une étagères lui sont consacrées.
Il existe, de Queneau, des traductions déjà anciennes de plusieurs romans, mais point hélas des Exercices de style, dont j’aurais volontiers enrichi ma collection. J’ai donc jeté mon dévolu sur la seule traduction en chinois de Georges Perec, qui se trouve être curieusement W ou le souvenir d’enfance, plutôt que les Choses ou la Vie mode d’emploi.
Butterfly Awards
La Taipei Book Fair Foundation m’a invité à participer au jury international des Butterfly Awards, qui récompensent les plus beaux livres sous l’angle de l’originalité de la conception graphique et de la qualité de la réalisation : format, papier, reliure, mise en page, impression, façonnage, etc. Une cinquantaine de livres faisaient partie de la sélection finale. Il y avait de tout : poésie, roman, livres illustrés, journaux de voyage, art, design, architecture, photographie. Nous les avons examinés des heures durant sous toutes leurs coutures, accompagnés d’aimables interprètes chargées de nous éclairer sur leur teneur, puisque aussi bien le fond et la forme sont indissociables et qu’une « belle maquette » n’a de sens que si elle s’accorde intimement au contenu de l’ouvrage.
Aucun des livres en lice n’était indigne d’intérêt — les plus beaux n’étant pas nécessairement les plus spectaculaires. Dans l’ensemble, j’ai été épaté par le talent, l’élégance, le sens du détail et le savoir-faire déployés, le soin artisanal apporté à la fabrication, et puis la qualité des papiers — les papiers, caramba ! Je voudrais bien disposer des mêmes pour mes propres travaux d’édition, ce serait la fête. Étonnement aussi, à la remise des prix, de découvrir le jeune âge des lauréats et lauréates, tous dans la vingtaine ou la jeune trentaine, la plupart frais émoulus d’écoles d’art graphique, là où je m’attendais à trouver de vieux routiers.
Parmi les livres que nous avons primés figurent deux ouvrages sur le design des livres et l’histoire de l’édition à Taïwan, dont je n’ai pu m’empêcher de faire l’acquisition. Je ne pourrai évidemment pas les lire, mais il y a plein de couvertures et de livres reproduits et j’adore les livres sur les livres.