Feuilleton du vendredi matin. À quelle mise en scène se prêtera l’invendable squelette de la brocante, qui n’a toujours pas trouvé preneur sept mois après sa première apparition ?
Feuilleton du vendredi matin. À quelle mise en scène se prêtera l’invendable squelette de la brocante, qui n’a toujours pas trouvé preneur sept mois après sa première apparition ?
Les plans sont la promesse des balades à venir. On ne manque pas de s’y plonger sans fin avant de s’embarquer pour une ville inconnue, d’y inventer des itinéraires, de s’imprégner de sa topographie — carrefours, grands axes et recoins secrets — en se berçant de l’illusion qu’on débarquera en terrain connu, de se créer des repères que la réalité ne manquera pas de démentir. Les plans sont la mémoire des voyages passés. On y retrouve au bout des doigts le souvenir de ses parcours en tout sens. Bref, on a le fétichisme des plans.
Impossible alors de ne pas acquérir cet atlas de poche de Londres (non daté), qui gisait dans une caisse au milieu des vieilles assiettes. Les listes en sont merveilleusement obsolètes, rappel d’un temps où l’on voyageait autrement. Statistiques, suggestions de visites, d’hôtels et de restaurants, théâtres, ambassades, compagnies de fret, parking places for motor cars (denrée si rare qu’il faut la signaler : on en dénombre trente-huit), principaux clubs (c’est Londres), plans de Westminster, de Saint-Paul, de la tour de Londres et du réseau ferroviaire (dont on précise fièrement qu’il est électrifié) : l’éditeur a pensé à tout. Les cartes sont belles.
Encore une de ces pochettes de vues-souvenirs que j’affectionne (voir ici et là). Celle-ci diffère un peu de ses semblables dans la mesure où elle fait la part belle à l’imaginaire du lieu, avec une naïveté sympathique : on a payé de braves figurants pour incarner Edmond Dantès et l’abbé Faria dans leur geôle, et l’on a même glissé, pour faire bonne mesure, une gravure représentant l’Homme au masque de fer — lequel, sauf erreur, ne fut jamais détenu au château d’If : la confusion peut provenir de ce qu’il fut emprisonné dans le fort d’une autre île, l’île Sainte-Marguerite, avant d’être transféré à la Bastille, ou bien de ce que Dumas a romancé son histoire dans le Vicomte de Bragelone.
Cinquante centimes pièce à la brocante. Comme beaucoup de bibliomanes (voir ici et là), j’ai conservé un goût très vif des 10/18 des années 1970, dans lesquels j’ai découvert Stevenson, Dickens, Darien, Huysmans, Schwob, Tinan, Lorrain, Mirbeau, Bataille et tant d’autres. C’est dans cette édition que j’ai lu Boris Vian pour la première fois. Je ne me vois pas le relire dans la Pléiade.
La folie du verre continue. Folie bien modeste, qui n’égalera jamais celle d’Andy McConnell, spécialiste britannique de la question, dont on aime bien les interventions enthousiastes et colorées dans The Antiques Roadshow, et dont on a pu voir à la BBC la maison envahie du plancher au plafond par les vingt-cinq mille pièces de sa collection.
« Murano », m’a affirmé le marchand qui m’a vendu ce vase. Je n’ai pas la compétence pour en juger et à vrai dire je m’en fiche un peu. L’essentiel est que, grâce à ses couleurs fondues dans la masse et à une astuce de fabrication (l’extérieur est cylindrique et l’intérieur bombé), il capte admirablement la lumière et ses jeux de reflets.
La veille, Christian Bourgois et moi avions couru quelques librairies, feuilletant d’incroyables gravures et des tirages rares. L’amour des livres est qu’il y a en nous de plus subtil et de plus tenace. Un livre, cela se dévore et se hume, c’est un parfum qui est une nourriture, une odeur qui est un incendie. […]
Il conviendrait de s’interroger sur la singulière union de l’absence et de la permanence, de la mémoire et de l’oubli, puis, d’une façon générale, sur le peuplement des terres, les mécanismes de la lecture, le rangement des livres, l’invention des images, les libertinages de la raison, les incertitudes du réel et les perversions du songe.
On est heureux d’avoir mis la main sur ce livre d’Hubert Juin, paru en 1981 au Talus d’approche dans une maquette de Pierre Faucheux. Livre inclassable, on aurait dit autrefois : recueil de mélanges, où s’entrelacent inextricablement le réel et l’imaginaire, l’autobiographie réinventée et l’essai. Juin s’adonne à un libre vagabondage dans sa bibliothèque et ses lectures, qui étaient colossales ; ranime les images d’une enfance rurale à Athus, où se cristallisa déjà son rapport aux livres, au langage et à la poésie ; s’invente un double, Théodore, sans doute en souvenir du bibliophile de Nodier, ou bien se met en scène écumant les bouquinistes en compagnie de Christian Bourgois. On va des grilles de mots croisés de Robert Scipion à Patrice de la Tour du Pin, en passant par Ovide, Pic de la Mirandole et Pierre Louÿs, sans oublier Feuillet de Conches qu’on ne connaissait pas (1798-1887, érudit et collectionneur, auteur de Causeries d’un curieux). La promenade réveille à chaque coin de rue le fantôme des écrivains aimés. Ailleurs, Juin écrivait en substance qu’une bibliothèque n’est jamais immobile ; elle est vivante et peuplée, et se modifie du même pas que nous. Ce livre en fait l’illustration.