Cent mille milliards de Queneau

Cent mille milliards de Queneau s’exposent donc du 13 novembre au 31 janvier à la Maison du livre : le poète, le romancier et l’essayiste, l’humoriste inquiet et le peintre du dimanche, le colossal lecteur et le féru de mathématiques, le scénariste-dialoguiste et le parolier, le chasseur de fous littéraires et le pataphysicien, l’oulipien et le directeur de l’Encyclopédie de la Pléiade.

Sur les cimaises et dans les vitrines, une quarantaine de gouaches et d’aquarelles de Queneau1, des photographies, des lettres et des manuscrits, des enregistrements sonores, des affiches et des partitions, quantité d’éditions rares et de traductions en toutes langues (parmi lesquelles celle-ci). Le tout disposé chronologiquement et thématiquement avec une clarté épatante par le maître d’œuvre de l’exposition, Christian Hublau.

Des rencontres, spectacles, conférences, ateliers et soirées jeux de langue accompagnent l’exposition, de même que deux soirées de projections à la Cinémathèque, les 20 et 21 janvier : Arithmétique de Pierre Kast , le Chant du styrène de Resnais et Zazie dans le métro de Louis Malle, qu’on ne présente plus ; le rare et charmant Dimanche de la vie de Jean Herman (mieux connu sous le nom de Jean Vautrin) ; l’excellent Landru de Chabrol, où Queneau, dans le rôle de Clemenceau, échange deux répliques avec Jean-Pierre Melville, dans celui de Georges Mandel.

Tous les détails du programme sur le blog de l’exposition.

La Maison du livre
24-28, rue de Rome
1060 Bruxelles
02 543 12 20
www.lamaisondulivre.be


Couverture de Siné

1. Sur l’œuvre plastique de Queneau, ses rapports avec la peinture et les peintres, voir l’album Dessins, gouaches et aquarelles, fort bien présenté par Dominique Charnay (Buchet Chastel, 2003).


Lundi 9 novembre 2009 | Actuelles | Aucun commentaire


Cent mille milliards de listes

Listes de Raymond Queneau, exposées parmi cent mille milliards d’autres choses à la Maison du livre (Bruxelles) à partir du 13 novembre. On y revient demain.


Dimanche 8 novembre 2009 | Actuelles, Monomanies | 4 commentaires


Etc.

Un titre pareil… naturellement, j’ai craqué. Le volume accompagne la manifestation homonyme qui se déroule ce mois-ci au musée du Louvre sous la houlette d’Umberto Eco. Au programme, conférences, expositions, lectures, concerts, projections et autres festivités. Heureux Parisiens.

Dans Bâtons, chiffres et lettres, Queneau écrivait que l’Iliade et l’Odyssée avaient d’emblée fixé les deux grands modèles narratifs possibles, et qu’on pouvait classer depuis lors la plupart des romans en romans Iliade et en romans Odyssée. Cherchant l’origine de la liste comme procédé littéraire, Eco la trouve à son tour chez Homère, dans le catalogue des navires de l’Iliade. Cette manie de l’énumération a perduré jusqu’à nos jours, dans les litanies médiévales, puis chez Rabelais, Sei Shonagon, Jules Verne, Whitman, Borges, Joyce, Prévert, Perec, Pynchon et l’on en passe - n’oublions pas Boris Vian et Nino Ferrer.

Cependant, ajoute Eco, « Homère célèbre aussi un autre modèle descriptif - le bouclier d’Achille - ordonné et inspiré par des critères de clôture harmonieuse et limitée. En somme, chez Homère déjà, on oscille, semble-t-il, entre une poétique du “tout est là” et une poétique de l’ “et cætera”. »

Ces deux poétiques se rejoignent, il me semble. Chez Perec, l’obsession de la liste et du dénombrement obéit à un désir d’exhaustivité et donc de totalisation (qui se sait voué à l’échec, mais c’est une autre histoire : c’est la case noire de l’échiquier de la Vie mode d’emploi, la pièce manquante du dernier puzzle de Bartlebooth). C’est une manière d’embrasser, d’épuiser la totalité du réel, comme pour conjurer la hantise du vide qui traverse toute son œuvre.

Semblablement, l’Ulysse de Joyce, odyssée moderne aussi grandiose que dérisoire, est tout à la fois roman de l’« et cætera » (inventaire du contenu du tiroir de cuisine de Leopold Bloom) et roman de la totalité narrative et formelle (l’univers dans une goutte d’eau, toutes les formes narratives mises au service de la relation des événements d’une journée ordinaire).

Ajoutons que l’ouvrage ne se cantonne pas au champ littéraire mais aborde également le champ pictural, où l’équivalent de la liste serait à chercher du côté de l’accumulation, de la répétition, de la duplication des motifs – des galeries de peinture de David Teniers le Jeune jusqu’aux boîtes de soupe d’Andy Warhol.

Je n’ai fait ici que paraphraser et gloser à grands traits la préface d’Eco. Voici la table des matières :
1. Le bouclier et la forme. – 2. L’énumération ou la liste. – 3. L’énumération visuelle. – 4. L’indicible. – 5. Liste de choses. – 6. Liste de lieux. – 7. Il y a liste et liste. – 8. Échange entre liste et forme. – 9. Rhétorique de l’énumération. – 10. Listes de mirabilia. – 11. Collections et trésors. – 12. La Wunderkammer. – 13. Définition par liste de propriétés vs définition par essence. – 14. Il cannocchiale aristotelico. – 15. L’excès, à partir de Rabelais. – 16. L’excès cohérent. – 17. L’énumération chaotique. – 18. Les énumérations des mass media. – 19. Listes de vertiges. – 20 Échanges entre liste pratique et liste poétique. – 21. Une liste non-normale.

Ça s’annonce bien.


Dimanche 8 novembre 2009 | Au fil des pages, Monomanies | Aucun commentaire


Le rayon noir

Ils aiment le polar et ils sont nantais : comment leur résister ? Les aimables animateurs de Fondu au noir invitent chaque mois un bloguiste à parler de ses polars préférés, et c’est avec plaisir que je me suis livré à l’exercice. Ma contribution se trouve ici. Pour parcourir l’entièreté de la rubrique et enrichir sa liste de lectures dans des proportions inquiétantes, c’est ici. Fondu au noir publie également une revue dédiée au genre, l’Indic. Quand on vous disait qu’ils sont fous !


Vendredi 6 novembre 2009 | Rompols | 7 commentaires


Faux et usage de faux

Éprise d’images et d’objets rares, de choses anglaises et de recoins secrets, Florizelle anime un des blogs les plus enchanteurs de la toile, le Divan fumoir bohémien. La constance avec laquelle elle découvre des trésors émerveille. Elle lève ici un coin du voile sur l’étonnante histoire des (fausses) valises de Frida Kahlo, qui ne manquera pas d’appâter les amateurs de mystifications de haut vol, dont nous sommes. La fabrication d’archives personnelles étant un sujet diablement fascinant, on lira avec un égal intérêt, toujours sous la plume de Florizelle, l’histoire des lettres d’amour du major Martin. Cet espion qui n’existait pas apparaît comme la version historique du Kaplan de la Mort aux trousses.


Jeudi 5 novembre 2009 | Grappilles | 1 commentaire


Galimatias

Sur le terrain du langage, à présent, on n’est plus aux prises avec ces évolutions traditionnelles qui faisaient braire les passéistes. On n’a plus affaire à ces transformations qui venaient du peuple. Le galimatias de maintenant est fabriqué par les tristes élites de la politique et de l’économie, de la publicité et de l’intelligentsia, et, dûment concassé, il est constamment déversé par la télévision et les autres médias. Dans le même moment, le peuple se tait. (Le verlan actuel, dernière tentative pour ranimer un langage marginal, est, dans une large mesure, très vite capté par la novlangue médiatique. Et d’ailleurs le problème n’est pas ici que puissent encore vivre des langages marginaux, mais si une langue centrale, et notamment lisible par tous, peut survivre.)
On pourrait faire sourire en énumérant longuement des mots et expressions de la novlangue. Mais c’est leur combinaison (ou devrais-je dire combinatoire ?) qui fait un effet vraiment inquiétant. Combien de temps garderons-nous une parties de nos facultés de traduire, d’écrire, ou même de penser quand, de toutes parts, il est question des effets pervers d’un différentiel, de se situer dans une fourchette, de remettre sa copie sur le chantier (si !), de redistribuer les cartes aux partenaires sociaux — afin sans doute que la balle soit dans leur camp à l’horizon 2000, à moins qu’il ne s’agisse d’initier par là une remise à plat des indicateurs, ou des acteurs — bref, d’apporter sa pierre au débat ? (si ! si ! celle-là aussi, je l’ai lue).

Jean-Patrick Manchette, « Traduc-tueur ? »,
Chroniques, Rivages, 1996.

Ces lignes datent de 1993. Elles sont encore plus vraies aujourd’hui. La radio et la télé en fournissent quotidiennement l’illustration. Les économistes tenant le haut du pavé, on ne s’étonnera pas qu’ils soient actuellement les principaux pourvoyeurs de ce néocharabia. Par exemple, on peut les tenir pour responsables de la mise en circulation récente du grotesque « impacter ». On devrait s’y faire et hausser les épaules, on n’y parvient pas — surtout le matin, quand nos défenses naturelles ne sont pas encore en place. La journée s’annonce radieuse, on reprend confiance en la vie, et soudain l’un de ces palotins vous gâche la première tasse de café en concluant sa critique du Rapport Machintruc d’un splendide : « Dans ce rapport, cette question n’est pas adressée. » Raaaah, le calque de l’anglais qui tue («to address an issue»).  À cet instant j’ai rêvé d’être l’Homme élastique des Fantastic Four pour allonger mon bras jusqu’à la Maison de Radio-France et lui en coller une dans sa goule. À défaut, je me suis repassé la scène où Nanni Moretti envoie une baffe à une journaliste (Ma come parla ? Vous vous rappelez ?). Ça soulage.


Mardi 3 novembre 2009 | Actuelles | 1 commentaire