Dimanche en jazz (7) : Gil Mellé


Quadrama

Iron Works

Walter Ego

Gil Mellé Quartet
Gil Mellé (sb) et Joe Cinderella (g), avec Billy Philips (cb) et Ed Thigpen (bt) (Iron Works, 1er juin 1956) ; avec George Duvivier (cb) et Shadow Wilson (bt) (Quadrama et Walter Ego, 26 avril 1957).

On replonge ces temps-ci avec un vif plaisir dans la musique de cet intrigant saxophoniste, arrangeur et compositeur. Gil Mellé citait Bartok, Varèse et Herbie Nichols parmi ses principales influences. On suppose qu’il avait aussi prêté une oreille attentive au nonet de Miles Davis. Il compte parmi ces musiciens pour happy fews qui inventèrent dans les années 1950 un jazz de chambre aux combinaisons instrumentales inhabituelles (c’est l’époque où le tuba et le cor français font leur entrée dans les petites formations), nourri de musique « savante », de contrepoint et de polytonalité. Outre leur recherche de couleurs et de textures musicales inédites, les compositions ciselées de Mellé témoignent  d’un sens de la miniature peut-être développé au contact de la musique d’Ellington, dont il avait commencé à collectionner les disques à un âge où l’on songe plutôt à jouer aux billes.

Ce fut de fait un enfant précoce. Né en 1931 dans le New Jersey, il s’installe dès l’adolescence à Greenwich Village, vit la vie de bohème, s’adonne à la peinture et à la sculpture, et commence à se produire à l’âge de seize ans dans les clubs et cabarets new-yorkais. Il y est repéré par Alfred Lion, l’un des deux patrons de Blue Note, qui lui fait enregistrer son premier disque à dix-neuf ans. Au-delà de sa contribution musicale, Mellé jouera un rôle crucial dans l’histoire de Blue Note : versé dans les arts visuels, il participe à la création de l’identité graphique très forte du label dont il conçoit, avec John Hermansader et Paul Bacon, les pochettes des premiers 33 tours ; et c’est lui qui présentera à Alfred Lion l’ingénieur du son Rudy Van Gelder — la suite est connue. Ironiquement, c’est pour Prestige qu’il enregistrera quelque temps plus tard ses meilleurs disques, Primitive Modern, Quadrama et Gil’s Guests, avant d’entamer une seconde et féconde carrière à Hollywood où il deviendra un pionnier de l’emploi des sons électroniques dans la musique de film et de télévision (cf. notamment la B.O. du Mystère Andromède de Robert Wise).


Lundi 3 décembre 2012 | Dans les oneilles | 3 commentaires


Dimanche en jazz 6

Count Basie
Li’l Darlin’.
Wendell Culley, Snooky Young, Thad Jones, Joe Newman (tp) ; Henry Coker, Al Grey, Benny Powell (tb) ; Marshall Royal, Frank Wess, Eddie Lockjaw Davis, Frank Foster, Charles Fowlkes (sax) ; Count Basie (p) ; Freddie Green (g) ; Eddie Jones (cb) ; Sonny Payne (bt). Arr. : Neal Hefti. Prise de son : Bob Arnold. New York, Capitol Studios, octobre 1957.

La thérapeute siphonnée d’Ally McBeal a raison : il nous faut une theme song. La mienne change toutes les quinzaines. Depuis que je l’ai réentendu l’autre matin dans un bistro, c’est Li’l Darlin’ qui me suit partout, rythme mes pas, m’accompagne sous la douche. Je l’écoute tous les jours. Arrangement somptueux de Neal Hefti, texture orchestrale enveloppante, en nappes soyeuses superposées soutenues par quelques notes de baryton très graves placées juste au bon endroit pour vous faire doucement léviter1. Rhaa ! Si ma mémoire est bonne, c’est à propos de ce morceau qu’un musicien de l’orchestre louait le sens inné du tempo chez Basie. À l’origine, la partition était écrite sur un tempo beaucoup plus vif. Et Basie, immédiatement : « Mais non, c’est comme ça qu’il faut le jouer. » Comme ça : sur ce rythme voluptueusement ralenti qui dispense une ivresse entêtante. Pour un autre musicien, Li’l Darlin’ est « the perfect test of patience. That’s the hardest part about it : not rushing it ». Henri Salvador en a donné une belle version chantée, avec l’orchestre de Christian Chevallier et quelques chanteurs des Double Six, rien que ça. Sur Basie, voir aussi ici.

 

1 De tout cela, il est à craindre qu’il ne reste plus grand-chose sur des enceintes d’ordinateur. Procurez vous donc The Complete Atomic Basie, le dernier grand disque du Count (Médiathèque : UB1686).


Dimanche 13 mai 2012 | Dans les oneilles | Aucun commentaire


Faudrait


Gérald Godin et Pauline Julien en 1969. Photo Gabor Szilasi.

Pauline Julien : Faudrait.
Paroles : Réjean Ducharme. Musique : Jacques Perron. Direction musicale : Jacques Marchand. Récital au Théâtre du Nouveau Monde (Montréal), septembre 1975.

L’hymne de la rentrée.


Mardi 16 août 2011 | Dans les oneilles | 3 commentaires


Défi au complétisme

Pour Raminagrobis.

If you go to Anthony Braxton’s new tricentricfoundation.org web site, you can download two new Braxton House CDs every month. He’s such a valuable artist that we really need to hear all his recordings, because even if some fail, others are superlatively good and important. Trouble is: he reportedly has 300 albums issued so far. If we buy only two of his albums each month, it would take 13 years to get them all. In the meantime, at the rate of seven new albums a year, he will have released 93 additional albums, which would take another four years to acquire — a total of 17 years. Plus, in those four more years he will have released 28 more albums — and so on. Plus, seven new albums a year is surely an unrealistically conservative estimate. Besides, I’m counting on Braxton to keep playing until he is 120 years old. […]

John Litweiler, Point of Departure no 34, avril 2011.
Extrait d’une recension
de Trio and Quintet (Town Hall) 1972 (hatOLOGY)
et 6 Duos (Wesleyan) 2006 (Nessa)




Dimanche en jazz 5


Roy Eldridge et l’orchestre de Gene Krupa dans Ball of Fire de Howard Hawks.

Un coup de trompinette pour saluer l’arrivée du printemps.

I Hope Gabriel Likes My Music
Gene Krupa’s Swing Band
Roy Eldridge (tp) ; Benny Goodman (cl) ; Chu Berry (st) ; Jess Stacy (p) ; Israel Crosby (cb) ; Gene Krupa (bt). Chicago, 29 février 1936.

Wabash Stomp
Roy Eldridge and His Orchestra
Roy Eldridge (tp) ; Scoops Carey (sa) ; Joe Eldridge (sa, arr) ; Dave Young (st) ; John Collins (g) ; Truck Parham (cb) ; Zutty Singleton (bt). Chicago, 23 janvier 1937.


Dimanche 27 mars 2011 | Dans les oneilles | Aucun commentaire


Un destin musical

Le destin des écrivains à la chaîne m’a toujours fasciné : nègres professionnels, auteurs de romans Harlequin, pornographes de troisième zone dont Westlake chanta les déboires et autres forçats de l’Underwood égarés dans la jungle des pulps1. Comment ces soutiers de la littérature vivent-ils leur métier, comment y trouvent-ils leur compte, comment parviennent-ils malgré tout, pour le dire pompeusement, à se « réaliser comme écrivains » ? On méprise cette littérature industrielle, mais essayez d’écrire un polar de gare en quinze jours et nous en reparlerons. J’ai pour ces artisans modestes et capables plus d’estime, sinon d’admiration, que pour le blanc-bec qui publie à la rentrée un premier roman autobiographique et parle sans rire de « son œuvre ».

De même, les musiciens. Y songez-vous parfois dans le métro ou à l’aéroport, tandis que les haut-parleurs déversent leur sirop insipide ? Cette musique d’ameublement, il a bien fallu que des gens la composent et l’arrangent, que d’autres l’exécutent. Que se passe-t-il dans la tête du troisième violon qui interprète de la soupe d’ascenseur ? J’y repensais en écoutant hier matin la chronique de Pierre Charvet consacrée à Roger Roger (ce n’est pas un pseudo !). Compositeur, instrumentiste, orchestrateur et accompagnateur né dans une famille de musiciens, Roger Roger (1911-1995) présente le cas singulier d’un musicien de talent s’accomplissant dans l’anonymat de partitions fonctionnelles auxquelles il sut malgré tout imprimer sa personnalité et son humour. Il débuta au music-hall, à la radio et au cinéma (on lui doit la musique des pantomimes des Enfants du paradis), avant de devenir un des princes de la musique d’illustration : interludes, jingles radiophoniques, musique de fond pour actualités, musiques de genre et d’ambiance réunies dans des bibliothèques sonores où venaient piocher les producteurs pour habiller feuilletons et documentaires — tous ces airs qui vous traînent et vous reviennent mystérieusement dans l’oreille sans qu’on puisse en identifier la source ni le compositeur. Pasticheur hors pair maîtrisant tous les styles, toujours en quête de sons inédits, Roger Roger se passionnait pour les nouvelles technologies, s’intéressa aux synthétiseurs, installa chez lui un studio d’enregistrement et devint dans les années 1960 un pionnier de l’électro-pop sous le pseudonyme de Cecil Leuter. Charvet raconte tout cela très bien.

1. Pour reprendre le titre des mémoires de deux d’entre eux : Frank Gruber, Dans la jungle des pulps (Encrage) dont on recommande la lecture plaisante et instructive ; et Gilles Morris-Dumoulin (alias Vic Saint-Val), le Forçat de l’Underwood (Manya), livre sur lequel je désespère de mettre la main.


Mardi 22 février 2011 | Dans les oneilles | Aucun commentaire


Nous l’aimions tant, Mimi


Les Double Six autour de Quincy Jones.
Deuxième en partant de la droite, Mimi Perrin.

Comme si le temps plombé ne suffisait pas à nous foutre un cafard d’encre, on apprend avec tristesse la mort de Mimi Perrin. Fondé à l’orée des années 1960, Les Double Six reste le groupe vocal le plus enchanteur de l’histoire du jazz. Dans le sillage du trio américain Lambert, Hendricks et Ross, Mimi Perrin et sa bande y relevaient le défi de transposer vocalement des versions instrumentales de grands thèmes de jazz, solos compris, en restituant non seulement, à la triple croche près, le phrasé des versions d’origine, mais aussi le timbre et l’articulation des instrumentistes (comparer par exemple le Westwood Walk original de Gerry Mulligan et Chet Baker avec celui des Double Six, une de leurs plus belles réussites). La perfection renversante de ce travail vocal acrobatique n’avait d’égale que l’humour et l’invention verbale des textes français, écrits par Mimi Perrin. Et puis, reprendre Naima de Coltrane, il fallait oser, et sa voix nous y colle le grand frisson à chaque écoute.
Mimi Perrin avait entrepris par la suite une carrière de traductrice. On avait plaisir à retrouver son nom sur la page de titre des romans de John Le Carré, qu’elle traduisait avec sa fille Isabelle depuis 1989.

Doodlin’ / Tout en dodelinant (Horace Silver)
Jean-Claude Briodin, Jacques Denjean, Claude Germain, Christiane Legrand, Mimi Perrin, Ward Swingle (voix)
Art Simons (p), Michel Gaudry (cb), Christian Garros (bt).
Paris, 1960.

Naima (John Coltrane)
Mimi Perrin (voix)
Georges Arvanitas (p), Michel Gaudry (cb), Daniel Humair (bt).
Paris, 1961.

À écouter aussi, l’épatant Tickle Toe chez Tatum, qui exhume en outre une friandise : Mimi Perrin faisant la choriste sur Itsy bitsy petit bikini de Richard Anthony (on ignorait ça !).

 


Mercredi 17 novembre 2010 | Dans les oneilles | 3 commentaires